68 premières fois·L'Art du Roman

Le Grand marin – Catherine Poulain

Elle s’appelle Lili et décide de quitter sa terre natale pour d’autres contrées. Dépaysement, grands espaces, mer à perte de vue. Sans trop réfléchir, la voilà qui prend le large comme on quitte un amant dont on s’est lassé trop vite. Il est temps pour elle d’explorer un ailleurs qui l’appelle. C’est à Kodiak, en Alaska qu’elle se retrouve face à la mer qui la happe et lui murmure d’entrer dans la danse de l’eau mouvante et changeante.

Vous êtes venus chercher quelque chose qui est impossible à trouver. Une sécurité ? Enfin non puisque c’est la mort que vous avez l’air de chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous cherchez… Une certitude peut-être… Quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos douleurs, votre passé – qui sauverait tout, vous en premier.

Le Rebel sera son toit, la rudesse des hommes son compagnon de voyage, les vagues son seul horizon, le café sa source d’énergie et l’alcool et la cigarette ses vices réconfortants. La voilà plongée dans un monde qui n’est plus le sien mais qu’elle va apprendre à s’approprier avec la ferveur et le courage d’une grande femme. S’affirmer, apprendre, exister, négocier, observer, combattre, dire non… Les journées et les nuits sont longues, rudes et répétitives. D’autres petites routines se créent, de nouveaux liens se tissent avec méfiance ou les yeux fermés. Se remettant sans cesse en question, Lili se fait lentement une place dans ce milieu grouillant d’hommes et de poissons.

Je voudrais qu’un bateau m’adopte, je murmurais il y avait deux mois – une éternité – le tout début de l’aventure. […] Je lui avais donné mes forces. Je lui aurais donné ma vie. Je dormais dans la chaleur du sommeil des hommes. J’étais à eux. Mon cœur était tout à eux.

Les journées de repos lui permettent de fouler la terre ferme et de découvrir l’envers du décor. Rompre la solitude du grand large en se frottant à l’étroitesse des tabourets des bars. Après la houle et l’eau salée qui glacent les corps, les gorges se réchauffent avec ces liqueurs qui brûlent et font se sentir encore vivant. Dans ce monde où les femmes sont celles qui attendent le retour des hommes, Lili se forge une posture d’héroïne atypique, aussi perdue que prête à tout pour se trouver en se dépassant pour être à la hauteur de ce périple au cœur de la mer. De loin, Le grand marin l’observe et cette force viscérale qui porte Lili et confère au dépassement de soi réveille en lui un sentiment noyé dans le sel et le whisky depuis bien longtemps.

Je ne suis pas une fille qui court après les hommes, c’est ça que je veux dire, les hommes, je m’en fous, mais il faut me laisser libre autrement je m’en vais… De toute façon, je m’en vais toujours. Je peux pas m’en empêcher. Ça me rend folle quand on m’oblige à rester dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Etre une petite femelle c’est pas pour moi. Je veux qu’on me laisse courir.

Un roman qui  marquera assurément mon parcours des 68 premières fois. Comment ne pas songer à ces figures d’aventuriers nées sous la plume de London, Krakauer? Le Grand marin est un texte qui se lit non sans certaines difficultés. Comme l’héroïne se heurte aux remous d’une mer dangereuse, le lecteur pourra se trouver en difficulté face à certaines longueurs, portées par un style des plus épurés fait de propos parfois redondants, au service d’une intrigue qui ne le noie pas nécessairement sous de multiples rebondissements.

Il faut, je pense, en lisant ces pages, accepter de partir vers ces grands espaces où le temps est plus long, plus étiré, plus dense, où l’atmosphère peut être étouffante, les situations d’une animalité à vous décrocher quelques nausées. C’est un livre qui se ressent, un voyage qui se vit et parfois se subit. C’est aussi se laisser porter par une rencontre entre un homme que rien ne semble plus pouvoir atteindre et une femme qui n’a plus rien à perdre. Une lecture comme une longue traversée qui se solderait par l’impression d’avoir lu un beau roman, des plus dépaysants.

Risquer de perdre la vie mais au moins la trouver avant.

Les chroniques de…

Je l’ai lu vite, sans reprendre mon souffle. Je n’ai pas tout aimé, les paumés me font peur. Mais c’est une expérience, ce récit. Mior

Une histoire magnifique, une aventure hors normes, c’est tout cela et beaucoup, beaucoup plus que nous offre Catherine Poulain. Martine

Le premier roman de Catherine Poulain est écrit dans un style très fluide avec de belles images et c’est pour moi ce qui fait sa qualité. Plume nacrée

Magnifique portrait d’une femme qui veut juste être debout, vivante et se battre pour sa vie. Hélène

Le Grand marin – Catherine Poulain

Éditions de l’Olivier

384 pages – 19€

EAN: 9782823608632

Février 2016

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35 réflexions au sujet de « Le Grand marin – Catherine Poulain »

  1. La femme Lili ne m’a pas séduite, aussi masochiste que courageuse…l’héroïne Lili peut fasciner, bien sûr , dans ses aventures de baroudeuse prête à tout… Beaucoup d’eau, de poisson … et d’ennui parfois toutefois (pour moi 😉
    Merci pour le lien

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    1. Difficile, je pense, d’échapper à l’ennui quand on vit/lit une telle aventure. Ces attentes, ces vies « suspendues » aux aléas des saisons de pêche. Cela fait partie du « jeu ». Et puis, j’ai aimé retrouver les traits qui me plaisent tant chez ceux que tu appelles si justement « les paumés ».
      Et pour le lien, je t’en prie.

      J’aime

  2. Ce livre est sur ma pile et ta chronique conforte mon envie. A l’occasion, j’aime ce genre d’ambiance, et les longueurs, pour ce type de romans, et si elles sont bien amenées, ne me dérangent pas. Dans cet esprit là, le dernier Sandrine Collette est très bien, avec une plongée en pleine cambrousse de Patagonie.

    Aimé par 1 personne

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