Que jeunesse se fasse...

Parole de papillon – Cécile Roumiguière et Léa Djeziri

Après ça, Todor n’a plus rien vu, plus rien entendu. Il s’est accroupi sous l’appentis, derrière la réserve de bois. Les yeux fermés, les poings sur les oreilles, il a attendu. Il a senti l’odeur des maisons qui brûlaient. Il ne se rappelle pas s’être endormi, mais quand il a rouvert les yeux, il faisait nuit.

Être épris de liberté, le petit papillon fragile voit son vol entravé par la poussière et les cendres noires.
Être épris de cette simplicité qui sied aux plus petits, Todor voit sa vie saccagée dans l’horreur et la violence. Il court, suffoque et peine à prendre son envol au milieu du chaos qui dévaste son petit pays en cendres.

Nous sommes en 1999 et le Kosovo est devenu un terrible champ de bataille. Todor vit alors des drames qu’aucune personne ne devrait avoir à subir. Son enfance vole en éclat et il s’interdit dans un terrifiant sursaut de dignité le moindre sanglot. Sur sa route, des mains tendues et un long chemin dont l’issue pourrait avoir un goût de liberté retrouvée. Sur la route, les fantômes des jours heureux et des rires qui résonnent. Le bonheur n’est plus et dans la tête de ce petit homme, les parfums, les odeurs et les souvenirs se mélangent.

Le silence a pris le village. En regardant entre deux planches, l’enfant reconnaît le dos de son grand-père. Debout, au milieu du jardin, sa canne à la main, le vieil homme ressemble à un arbre foudroyé.

Visage de l’exode, chaînes interminables de corps errants déracinés par la guerre, pas qui frottent le sol et qu’on ne compte plus tant on ne sait dire où ils mènent. Le récit vient saisir l’Histoire dans ses méandres nauséabonds, mais également, hélas, dans ses éternelles redondances. Hier le Kosovo, aujourd’hui, les terres de la triste Syrie. Et demain?

Au fil des pages, de sombres illustrations d’un noir profond qui s’offrent parfois le luxe d’être grisées par quelques gouttes d’eau venant diluer les ruines de l’horreur. Et il en devient presque doux, ce gris sur les ailes du papillon, qui nous laisse espérer que très vite, elles s’offriront le luxe de la sérénité du blanc.

Mes insomnies ont incontestablement du bon quand elles me permettent de saisir au vol un joli papillon comme celui-ci au cœur de la nuit. Cécile Roumiguière tente modestement de réparer l’Histoire avec son crayon, en recousant bien des plaies avec sa plume. Raconter, dire, écrire, murmurer ou crier sans cesse les libertés écorchées et les vies fauchées. Prouver aux adultes, et expliquer aux enfants que les récits teintés de gravité historique, de réalité sombre et cruelle, peuvent aussi mieux se comprendre et se raconter avec la douceur des mots justement et délicatement choisis. Et autant dire que pour cela, Cécile Roumiguière est définitivement de celles qui y parviennent à merveille.

Derrière Todor, un enfant qui ne saura jamais ce que devenir adulte veut dire. Todor Bogdanovic, est un enfant Serbe et Rom tué en 1995 à la frontière franco-italienne par un policier dans sa quête d’un ailleurs sans guerre. Quel plus bel et sobre hommage que de lui offrir ces mots-là et l’hypothèse d’une vie que les monstres n’auraient pas totalement brisée? Un petit récit illustré à conter, une histoire qui dit aussi, que ces Hommes qui marchent dans le noir , le bruit et la poussière sont avant tout des êtres qui fuient la fureur des hommes trop fous.

Le site de Cécile. (Avec quelques mots consacrés à l’origine de l’histoire.) Celui de Léa.

Les billets de Jérôme et Noukette.

Parole de papillon – Cécile Roumiguière et Léa Djeziri

Éditions du Pourquoi pas?

9.50 € / 64 pages

ISBN : 979-1092353-18-1

Octobre 2015

23 réflexions au sujet de « Parole de papillon – Cécile Roumiguière et Léa Djeziri »

  1. Ce qu’il a l’air beau ce livre ! Bravo à ces auteur(e)s qui trouvent les mots pour s’adresser aux plus jeunes (et aux moins jeunes), je suis très admirative. Je viens de visiter grâce à toi le site de Léa Djeziri : ses illustrations sont superbes. Merci Moka !

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