Neuvième art

Alvin – Régis Hautière & Renaud Dillies

Bas résille, dos cambré. Une robe à pois qui glisse parfaitement le long des courbes parfaites de la catin du George’s friends café. Il suffira d’une nuit trop sombre dépourvue de tendresse pour voir s’éteindre Purity, le visage tuméfié, le dos courbé et le corps meurtri. Gaston, connu pour sa loyauté envers ses amis se retrouve à devoir tenir une promesse malgré lui. (Il est un habitué du comptoir du bar et s’offre de temps à autre la chaleur du corps de la demoiselle…) Perdu dans les jupons de Purity quelques jours avant le drame, le voilà contraint de veiller à ce que ses dernières volontés soient respectées. Sous le masque de la femme de petite vertu se cache le visage d’une mère inquiète pour le petit être qu’elle va laisser orphelin.

La fin d’une histoire contient toujours en germe le commencement d’une autre.

Sur le perron d’une immense demeure, Alvin rencontre Gaston, l’ours bougon. Sur le perron d’une immense demeure, Gaston rencontre Alvin, râleur de haute voltige, contestataire de grande envergure. L’histoire peut commencer. Deux héros ont « malencontrheureusement » fini par se trouver.

Après une quête américaine étoilée, un autre voyage fait de kilomètres de rails, de fleuves et de sentiers escarpés appelle nos protagonistes… Destination Crapeville, à la recherche de bras disponibles qui sauront recueillir le petit grincheux sous béret. Ce que Gaston n’avait pas prévu dans cette histoire, c’était de voyager avec un grand bavard à la spontanéité déconcertante. Il est de ces échos au goût de déjà-vu dont il se serait aisément passé. L’impertinent au répondant sans précédent titille notre Gaston et réveille les blessures encore trop fraîches. Un chapeau qui nous est familier l’intrigue et son jeune âge ne l’empêche pas d’avoir le nez fin… Très tôt, il cernera sans tout comprendre pourtant les douleurs tues par cet ours brisé qui endossera le rôle d’une figure paternelle un peu trop gauche le temps de quelques planches.

Sur leur route, bien des silhouettes, bien des visages enrobés d’ocre chaud et de couleurs habilement nuancées qui donnant cette ambiance si familière que l’on aime retrouver dans les albums de Renaud Dillies. Sur ce nouveau chemin, d’autres combats à mener, d’autres cris indignés à faire entendre. Le récit prend une dimension particulièrement engagée – qui souffre avouons-le de quelques envolées lyriques qui auraient gagné à être plus concises et moins redondantes – déjà en germe dans le précédent diptyque.

Comment c’est possible, de perdre le goût de la vie ? Ça a pas de goût, la vie.

Si, un petit goût salé. Et sucré aussi. Mais c’est seulement quand tu l’as perdu que tu t’en rends compte.

Vous noterez qu’un nom est tu. Parce que pour mille raisons, la comparaison n’aurait pas eu de sens à mes yeux. Dans ce diptyque si patiemment attendu, j’ai retrouvé un Gaston qui n’était que points d’interrogation et de suspension. Riche d’une émotion nostalgique, il trouve un souffle nouveau qui n’en est pas pour autant dépourvu d’une gravité qui ne le quittera jamais vraiment…

Si le personnage d’Alvin, héros éponyme à la verve détonante m’a souvent fait sourire, la vraie belle surprise de cette nouvelle aventure est un héros ô combien plus discret. Sur la route de l’ailleurs incertain, j’ai croisé le fabuleux personnage de Jimmy Pumpkins.

L’homme à tête de lune contient en lui toute la poésie subtile que j’aime trouver sous la plume sensible de Régis Hautière et sous le crayon de Renaud Dillies. Derrière un silence bouleversant, caché derrière les mots parfois absurdes d’un couvre-chef désaccordé, cette silhouette frêle a tout d’une marionnette désarticulée qui devra réapprendre à vivre une fois que les fils qui l’entravent auront été coupés. Il  incarne à merveille le véritable héritage d’une histoire de petits papiers, de poussière et de cendre lue un matin de janvier triste à en pleurer.

Change de ciel, tu changeras d’étoile.

Ne change pas d’étoile qui veut…Les émotions passées n’ont pas été totalement ravivées à la hauteur de ce que j’attendais. Je me suis surprise à trouver quelques longueurs, j’ai vu surgir des petites réserves qui n’en ont pas pour autant terni mon plaisir de lecture, loin de là.

Alvin a évidemment la beauté des suites qui offrent de belles retrouvailles sans pour autant provoquer le coup de cœur inégalable d’une première fois foudroyante. Évidemment, je suis conquise par la beauté indescriptible de l’univers graphique de Renaud Dillies qui fait incontestablement partie des artistes que j’admire le plus dans le monde du 9e Art. Évidemment, je suis tombée sous le charme de ces cases aux couleurs douces, aux traits torturés d’une justesse bouleversante. Difficile, de ne pas laisser notre regard s’attarder sur ces ingéniosités graphiques qui fourmillent et échappent même à la rigueur des cases. Et ne négligeons pas, enfin, ce plaisir d’être porté par une musique imaginaire qui s’invite systématiquement dans les albums de Dillies, et gagne progressivement nos oreilles durant ce voyage au cœur d’un bayou qui délivre les mélodies qui viennent adoucir les sombres discours des vrais monstres.

Une lecture que je partage avec mon adorable Petit Carré jaune.

Les billets de Jérôme, Mo, Noukette 1 & 2, Yaneck 1 & 2, Yvan 1 & 2 et Sandrine 1& 2

BD de la semaine Chez Noukette
BD de la semaine
Chez Stephie

Alvin – L’héritage d’Abélard  2015.
Alvin – Le Bal des Monstres  2016.

Renaud Dillies et Régis Hautière

Dargaud

56 pages / 14,00 euros le tome.

38 réflexions au sujet de « Alvin – Régis Hautière & Renaud Dillies »

  1. Comment résister à de tels billets franchement (toi et Carré jaune en mettez une grosse couche ;0) Bon, je finis par craquer finalement et note enfin Abélard (et le surligne :0) vous êtes trop tentantes les filles ;0)

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