L’histoire est simple. Et vieille comme le monde.
Prête à assumer les pires infamies et à commettre les crimes et les trahisons les plus odieux qui soient, Médée a choisi Jason. Elle aime avec passion un homme volage trop sensible aux charmes ravageurs du pouvoir et des femmes, un homme sans scrupule qui a rendu moins noble l’idée même du sentiment amoureux. De cette union passionnée sont nés deux enfants qu’elle garde sous son aile comme une monnaie précieuse.
Être de l’errance, bannie de terre en terre, Médée est rejetée autant qu’elle est crainte. Le jour où elle apprend que Jason l’abandonne pour Créuse, une autre fille de roi, un déchirement violent s’empare d’elle et réveille ses pulsions meurtrières. Nourri par une jalousie impossible à apaiser, le crime sera bien réfléchi, étudié dans ses moindres détails. Il se devra d’être à la hauteur de la haine et du chaos provoqués par la douleur de l’ego blessé. Médée est une sorcière, et sa vengeance sera spectaculaire. Inéluctablement, elle déroule son plan machiavélique, aveugle et sourde aux murmures qui l’appellent à la raison.
Ce n’est pas son exil, c’est sa mort que je veux;
Elle aurait trop d’honneur de n’avoir que ma peine,
Et de verser des pleurs pour être deux fois reine.
Tant d’invisibles feux, enfermés dans ce don,
Que d’un titre plus vrai, j’appelle ma rançon,<
Produiront des effets bien plus doux à ma haine.
Que la vengeance s’infiltre dans un sang qui bouillonne de colère, s’invite dans un diadème dangereusement étincelant ou inonde les tissus précieux de sa ruse perfide, elle entre en œuvre avec une froideur rigoureuse, implacable, impeccable, conformément à la machine infernale de l’esthétique tragique.
La Furieuse, la Révoltée. Figure fascinante et détestable, Médée s’offre une énième occasion d’exprimer sa folie destructrice sous la plume d’un des plus grands dramaturges du XVIIe siècle et c’est une fois de plus d’une élégance impitoyable.
Ces herbes ne sont pas d’une vertu commune;
Moi-même en les cueillant, je fis pâlir la lune.
Nous nous éloignons, alexandrin oblige, de la modernité puissante et mordante de la version d’Anouilh que j’aime tant. Néanmoins, la grâce du phrasé de Corneille se met lentement en place et vous transporte tant les mots sont forts, grands, pénétrants, bercés par cette langue d’une musicalité incomparable, qui certes aujourd’hui peut sembler lointaine et désuète mais qui rappelle l’âge d’or d’un théâtre nourri de culture antique qui déclamait avec ferveur son amour des plus sombres histoires de l’humanité.
Je n’en veux qu’un pour moi, n’en soyez point jaloux.
Pour de si bons effets laissez-moi l’infidèle:
Il est mon crime seul, si je suis criminelle;
Aimer cet inconstant, c’est tout ce que j’ai fait:
Si vous me punissez, rendez-moi mon forfait.
Est-ce user comme il faut d’un pouvoir légitime,
Que me faire coupable et jouir de mon crime?
Jalousie, trahison, divorce, crime et magie noire. Un récit devenu mythe qui nous vient des entrailles de l’Antiquité. Une histoire résolument moderne qui ne cesse de revendiquer sa rage explosive, incarnée par la figure féminine la plus excessive, incomprise et impardonnable qui soit.
Au diable les concessions et la morale, lecteurs, spectateurs, héros de papier, nul ne sort indemne d’avoir un jour croisé Médée.
Trouve-le bon, chère ombre, et pardonne à mes feux
Si je vais te revoir plus tôt que tu ne veux.
Médée – Pierre Corneille Éditions Magnard dans la collection Lycée 3,60€ / 115 pages / 2008 (Pour la présente édition) Les classiques c’est fantastique ! – Coup de théâtre – Médée au fil des siècles |
Mes chroniques liées au mythe de Médée :
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- Médée de Jean Anouilh (que j’aime d’amour.)
- Les tome 1, tome 2, tome 3 et 4 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
- Médée d’Euripide.
- Médée de Sénèque.
- Médée de Corneille.
- Médée Kali de Laurent Gaudé.
- Médée de Max Rouquette.
- Médée la magicienne de Valérie Sigward
- Médée de Christa Wolf
- Beloved de Toni Morrison.
- L’Obscure Clarté de l’air de David Vann
Euh, je te sais « fan » de Médée et tu le prouves encore aujourd’hui.
Il y a encore des titres que tu n’aurais pas lu?
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J’ai lu les versions antiques mais j’avoue qu’une relecture ne me ferait pas de mal. Je suis en quête d’une autre version BD… Médée de… (pause pour aller retrouver la référence…) …Mélanie Berger. Je suis curieuse de voir ce que ça a pu donner. Je dois encore lire la version de Rouquette qui attend sur mes étagères aussi. Bref, je pense que j’ai encore pas mal de choses à découvrir tant les écrits sont nombreux à son sujet… ^^
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Un récit devenu mythe et une critique qui le deviendra bientôt tout autant 😉
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Oh… Ego matinal reboosté. Merci. ^^
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😉
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Je n’ai jamais relu Corneille, et ce n’est pas ce thème qui me donnera envie mais j’ai beaucoup aimé lire ce billet.
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Je lui préfère mille fois Racine mais en grande amoureuse de Médée, je me devais d’aller tourner ces pages-là.
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Je ne crois pas avoir lu la version de Corneille (je préfère lorsqu’il s’éloigne un minimum des canons classiques), mais c’est un personnage fascinant et j’aime beaucoup les versions d’Anouilh et d’Euripide !
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Je vais relire celle d’Euripide du coup. (Et autant dire que celle d’Anouilh me bouleverse infiniment. )
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Un personnage qui a beaucoup inspiré.
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Et qui me fascine totalement…
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Comme beaucoup, Médée et Antigone sont deux figures mythiques qui me fascinent. Mais au fond, je n’ai lu que peu de versions. Je note cette version de Corneille et évidemment aussi, celle d’Anouilh que je ne connaissais pas (mais quelle claque de lire Antigone en 3eme ! Je n’en ai pas démordu depuis!). Je viens par contre de finir les deux tomes de la BD de Nancy Pena et Blandine Le Gallet par contre 🙂
Par ailleurs, je te partage une autre version de Médée, romanesque celle-là, de Christa Wolf, que j’avais adorée : http://lapetitemarchandedeprose.hautetfort.com/archive/2013/02/01/medee-de-christa-wolf.html
Bises !
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Alors figure-toi que ce titre est aussi sur ma PAL. Je l’avais acheté pour compléter la liste des œuvres plus classiques que j’avais déjà répertoriées à l’époque. J’aimais l’idée de la découvrir à travers le genre romanesque. (Tout comme pour l’Antigone de Bauchau) Tu la rappelles à moi et me donnes envie d’aller y jeter plus qu’un oeil rapidement. 😉 Merci ! Bises et bon samedi.
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J’avais bien aimé l’Antigone de Bauchau mais ai été plus scotchée par la Médée de Christa Wolf, sans commune mesure. J’espère qu’il en sera de même pour toi !
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Bon. Ok, vite, je le saisis de ce pas et l’éloigne des étagères de l’oubli. ^^
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Je trouve que dans cette pièce Corneille parvient presque au génie de Racine (commentaire totalement partisan, j’aime 1000 fois mieux Racine)
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Comme toi, je suis de celles qui préfèrent Racine. Alors on se comprend.
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J’en ai lu et étudié des extraits en cours et j’ai toujours voulu la lire en entier, je trouve que cette histoire n’a pas d’âge =)
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Une bien belle addiction madame… ❤
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Comme nombreux parmi nous, je suis plus éblouis par la version Anouih que corneille bien que le fabuleux personnage Médée soit notre centre d’intérêt…
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Je crois que la version d’Anouilh a quelque chose d’inégalé (et d’inégalable)
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