Et mon coeur fait boum·Neuvième art

Bouffon – Zidrou et Porcel

Je vous ai dit que cette histoire serait belle, et elle l’est. Je vous ai dit aussi que cette histoire d’amour serait triste, et elle le sera. C’est le genre qui veut ça…

Dès sa naissance, son lit n’est que foin et fange. Glaviot est aussi laid et hideux que sa mère était belle et lumineuse. Une beauté ternie, salie, réduite aux cachots sordides d’un seigneur sanguinaire. Contre quelques plaisirs de pacotille, elle n’a plus que son corps qu’elle offre pour assouvir les pulsions animales des soldats répugnants. Une belle offerte aux bêtes. Fruit d’une union nauséabonde, le jeune homme semble hélas promis à une mort certaine et prématurée.

Voilà comment par cette nuit glaciale de février, ses entrailles mille fois profanées donnèrent naissance à une légende.

Néanmoins, il n’en sera rien. Glaviot ne sera pas dévoré par le chien du geôlier. Il vivra et grandira à l’abri du soleil, dans l’humidité, l’odeur des excréments, bercé par les cris des hommes qu’on torture dans les bas-fonds du château. Un Jean-Baptiste Grenouille d’une autre époque qu’un destin des plus singuliers attend. Ce garçon, loin de l’allure des jeunes premiers imposés par les canons du genre se voit doucement quitter les cachots pour devenir le bouffon de Livia, la fille du Seigneur. Et vous imaginez bien que ce conte n’en serait pas un si son protagoniste ne se laissait pas emporter par ses premiers émois sentimentaux. Mais que faire quand la monstruosité n’offre que le dégoût comme seule réponse à l’élan amoureux?

La réponse de Zidrou est immédiate: un peu de magie noire, un don précieux et un soupçon de merveilleux relatés par un narrateur au cynisme mordant et voilà notre héros au cœur de toutes les attentions et toutes les rumeurs. Le bouffon se transforme en prince-pas-vraiment-charmant, bien loin des figures lisses et conventionnelles de nos récits enfantins…

Le chagrin des puissants se mouche dans les souffrances des faibles.

C’est dur, pinçant, immoral et impertinent. Cela vous prend aux tripes entre nausées, malaise et émotion insolente. C’est incroyablement beau, et douloureusement fascinant. Une merveille acide qui ne vous quittera pas de sitôt.

Dans la vie, souvent, il faut agiter les bras fort et longtemps avant d’enfin quitter le sol.

Bouffon est ce qu’on appelle une très très belle surprise. De celle qui vous fait vite oublier que vous auriez pu passer à côté d’une magnifique histoire si vous aviez écouté cette petite voix qui vous murmurait que le dessin n’était pas du tout à votre goût. Et pourtant, au fil des planches, tout prend furieusement son sens et ce trait qui me rebutait s’est imposé comme une évidence, comme celui qui ne pouvait pas mieux convenir pour une histoire comme celle-ci… Des planches obscures aux cases plus lumineuses, tout est maîtrisé, justement tracé pour servir cette sombre histoire. Porcel m’a étonnée et amenée sur un terrain auquel je ne m’attendais vraiment pas.

Il est… Tant de choses… Qu’on ne ferait… Pas… Si on en connaissait… A l’avance…Les conséquences…(Hs: citation que je devrais me faire tatouer tiens.)

Zidrou est un scénariste qui publie comme il respire et offre une bibliographie des plus florissantes. De publication en publication, il surprend et conduit son lecteur sur des chemins qui ne se ressemblent jamais vraiment. (J’ai eu un véritable coup de cœur pour Lydie et lu avec un peu moins d’enthousiasme Le Client.) Ici, Zidrou se fait donc conteur, celui d’un récit sombre et cruel qui ne ménage personne. Le récit oscille entre moments de poésie, envolées lyriques et impitoyables mots crus. Un mélange des tons audacieux qui fait de Bouffon un album qui marque et se partage. (Merci Jérôme pour ce beau cadeau.)

L’interview de Porcel par Branchés culture.

Les chroniques de Noukette, Jérôme, Yaneck et Yvan.

Bouffon – Zidrou et Porcel

Éditions Dargaud

64 pages – 14.99 €

ISBN: 978-2-5050-6169-4

BD de la semaine Chez Stephie
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44 réflexions au sujet de « Bouffon – Zidrou et Porcel »

  1. Voilà donc ton avis sur ce « Bouffon » dont tu m’avais parlé. Un nouveau Zidrou aussi… j’aime quand tu dis qu’il publie comme il respire, c’est l’impression que ça me donne en tout cas 🙂
    Je regarderais cet album de plus près 😉

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      1. vouais avec Noukette et Mo’/Steph héhé;-) pour se consoler d’Abélard tiens !
        (tu diras vendredi, qu’Abélard on l’aime d’amour, TOUT, qu’on l’a lu et relu, et offert, partout, avec à chaque fois, l’émotion qui étreint …. et qu’on le remercie infiniment ❤ et qu'on l'embrasse aussi …. ah nan, ptêtre je m'égare !)

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  2. Je ne fais pas partie des « enamourées » puisque je ne connais pas mais là j’ai l’eau à la bouche, d’habitude en BD c’est Jérôme le tentateur , mais bon, je n’ai pas encore lu son billet !!! 😀 Je lis peu de BD n’ayant pas de biblio à proximité, mais là je vais me débrouiller en librairie, j’aime trop les extraits de texte et ce que tu en dis ! 😉

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