Je lis des albums·Que jeunesse se fasse...

La prisonnière du brouillard – G.Guéraud & D.Sala

Il suffira du souffle du vent. Celui qui détourne du chemin, celui qui entraîne là où personne n’avait prévu de faire le moindre pas. Arriver enfin près du lac Clameur, fruit de bien des légendes, objet de toutes les craintes. Noyades suspectes, fantômes tristes et peurs cristallisées par les récits des anciens. Un cocktail fantastique qui nourrit bien des murmures angoissés au fond des gorges nouées.

Il vagabonde et laisse ses pas le guider au bord de l’eau. Le brouillard s’épaissit, puis s’estompe… Lentement, le temps de dévoiler ses mystères.

C’était une jeune fille de mon âge. Pâle. Hormis ses lèvres rouges comme le poison des églantiers. Et ses yeux plus noirs que des ailes de corbeau. J’ai senti le sol naviguer sous mes pieds. Des étincelles sous mes paupières. Des crépitements dans tous mes os. Et mon cœur cognait si fort que mes côtes ont failli se briser. Elle n’a pas bougé. Elle a juste souri.

Elle est là. Rouge à lèvres carmin, le teint juste rosé mais éternellement pâle, des cheveux qui ne sont pas sans rappeler les haillons d’argent rimbaldiens. Le cœur saisi, il ne voit qu’elle et oublie vite les mises en garde des légendes millénaires. Puis vient l’heure du défi, lancé comme un cri de détresse. Elle a besoin d’être sauvée et il semble prêt à tout pour exaucer les désirs soupirés d’une Ophélie sortie tout droit d’une onde trop froide. Une plongée dans les tréfonds des eaux sombres d’un lac qui renferme bien des secrets…

Depuis Féroce (découvert grâce à Gwennaëlle), je voue une admiration certaine au travail de David Sala, artiste connu pour être très influencé par les œuvres de Gustav Klimt, tout en sachant leur insuffler sa singularité graphique. Autant dire que j’ai vite trouvé de belles affinités artistiques avec cet illustrateur virtuose. Dans cet album, les dessins se gorgent d’un bleu glacé et d’une froideur lumineuse en parfaite symbiose avec l’atmosphère mystérieuse qui plane autour du lac. Les paysages comme les personnages sont habités par une aura envoûtante, et évoluent au milieu des éléments qui virevoltent autour d’eux non sans une certaine magie. Et autant dire qu’il faut bien du talent pour savoir imposer une ambiance, doser justement les images qui naissent sous la plume d’un écrivain comme Guéraud, bien connu pour ne pas ménager ses lecteurs.

A ce propos, Guéraud est décidément un vrai touche-à-tout. Albums jeunesse, romans pour adolescents qui glacent le sang, littérature, spectacles dessinés. Sans cesse, il essaie de surprendre, capte et saisit toutes les occasions de distiller les sentiments. Dans cet album, c’est surtout aux émois amoureux qu’il s’attache en décrivant ces battements de cœur qui crépitent, là, au fond de nous. Et que les palpitants s’emballent par peur ou pas amour,  on se laisse prendre au jeu de cette tendresse inattendue sous la plume de Guéraud. (Ceci dit, je ne vous cache pas que j’aime le côté plus sombre et torturé de cet auteur dont je ne cesse de vanter le talent. Je m’attendais peut-être à une évolution plus en adéquation avec l’esprit plus noir et tranchant de ses romans.) On le découvre ici plus doux, moins mordant, se détachant de sa plume cynique et glauque.  Une autre manière de le découvrir, une autre facette loin d’être déplaisante qui nous conforte dans l’envie d’être constamment au rendez-vous quand son nom apparaît sur une couverture.

Je suis prisonnière du brouillard. Je ne pourrai vivre que lorsqu’il disparaîtra.

Un grand merci à celle qui a décidément réussi un joli doublé autour de David Sala. D’abord avec ce titre, délicate attention d’un jour de retrouvailles, puis avec le joli présent déposé au pied du sapin, à savoir l’immense portefolio de l’artiste contenant une vingtaine de ses reproductions absolument majestueuses. ♥

Challenge Je lis des albums

David Sala sur le blog: Le Joueur d’échecs – David Sala

La Prisonnière du brouillard
Guillaume Guéraud et David Sala

14.95 €

Éditions Casterman – Octobre 2015

*******

Portefolio David Sala – Édition limitée

35€

30 réflexions au sujet de « La prisonnière du brouillard – G.Guéraud & D.Sala »

    1. Si ce dessin te plaît et que tu es un peu intéressé par l’Art en général (et Klimt en particulier), fais quelques recherches sur Sala via G**gle images et tu seras conquis. Ou mieux encore, feuillette ses albums qui sont des merveilles.

      Aimé par 1 personne

    1. Voilà c’est vraiment très très beau. Et si tu as l’occasion de voir le portfolio Sala… Une merveille. C’est impressionnant. Pour le reste, comme je le dis dans l’article, j’ai une petite préférence pour un Guéraud un peu moins conventionnel. Mais c’est un très bel album.

      J’aime

    1. Et en le feuilletant, tu seras d’autant plus subjuguée ! Et c’est vrai que j’ai une chance folle d’avoir une petite sœur qui aime autant les albums que moi. (Et notre libraire nous oriente à merveille.)

      J’aime

    1. On retrouve tout de même sa plume de temps à autre mais le ton change. Le format veut ça probablement. J’aime vraiment sa capacité de passer d’un genre à l’autre avec cette aisance-là.

      J’aime

  1. Je ne connais que Klimt dans l’histoire mais les extraits me plaisent et les illustrations sont juste sublimes ! Je ne suis pas vraiment album et BD mais là je crois que…hum hum…ça sent le craquage lors de la prochaine descente en librairie…

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire