Et mon coeur fait boum·Je lis des albums·L'Art du Roman·Que jeunesse se fasse...

Quelques minutes après minuit – Patrick Ness

Quelques minutes après minuit, un monstre apparaît, qui apporte avec lui l’obscurité, le vent et les cris. C’est quelque chose de très ancien, et de sauvage. Le monstre, vient chercher la vérité.

Tic Tac. Tic Tac. Tic Tac. Un bruit familier. Un bruissement de feuilles. Une vieille rengaine qui dit le temps qui s’écoule.

Tic Tac. Tic Tac. Tic Tac. Encore quelques minutes. Et le cauchemar fera des nuits de Conor, le théâtre d’une lutte sans merci.

Comme si le quotidien de ce jeune garçon n’était pas assez morne. Le sourire sur le visage de sa mère n’est motivé que par l’espoir de jours meilleurs. Gravement malade, elle s’accroche à la vie et lutte contre un crabe qui la dévore. Conor semble lui aussi confiant en la médecine et la complicité qui le lie à sa maman est belle et forte. Nous sommes bien loin de le relation houleuse qu’il entretient avec sa grand-mère, relais de fortune pour les jours où la force et le courage ne suffisent plus. Au collège, la vie ne l’épargne guère plus. On le regarde, on chuchote, on lui trouve des excuses. Lui qui voudrait se fondre dans la masse se voit rappeler constamment qu’il n’a pas une vie tout à fait comme les autres. C’est peut-être cette impression-là qu’il ne parvient définitivement pas à accepter.

Ses nuits prennent soudainement une autre tournure lorsque que le vieil if du jardin semble s’animer et devenir si menaçant qu’il pénètre lentement dans la maison familiale. Très vite, Conor perd pied entre réalité et cauchemar et peine à discerner la part de vérité, de réel, dans ce drôle de tour que lui joue son imaginaire. Chacune de ses visites n’a rien d’anodin et encore moins de gratuit. C’est un monstre conteur qui sait bien des histoires sombres et cruelles, des petites fables dont les fins soulèvent des questions morales qui poussent à réfléchir et à quitter le manichéisme des contes traditionnels. Comment trouver sa vérité ? Comment rester juste en dépit des apparences trompeuses? Les interrogations suscitées dérangent Conor et quelle n’est pas sa surprise lorsque le monstre lui annonce un curieux décompte : la quatrième histoire sera la sienne. Que Conor se prépare, ce sera bientôt à lui de devenir le maître du récit.

Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes. Les histoires chassent et griffent et mordent. (…) Tu sais que ta vérité, celle que tu caches, Conor O’Malley est la chose que tu crains le plus. Tu me raconteras la quatrième histoire. Tu me raconteras la vérité.

D’abord provocateur et un poil hautain, Conor se moque presque avec mépris de cette créature végétale. Mais peu à peu, un lien très fort, presque addictif va se tisser entre eux. Le comportement de Conor change alors et son entourage en fait les frais. Le petit garçon discret serait-il en train de quitter ce moule de pitié et de tristesse dans lequel on l’enferme? Qu’a bien pu réveiller en lui ce titan de feuilles et de racines ? Qu’attend-il au juste de lui, chaque soir, quelques minutes après minuit ?

Tu auras peur pourtant. Avant la fin…

Claque graphique.

Voilà un roman jeunesse qui mérite qu’on parle encore et encore de lui. Avant d’être un conte sombre et terrifiant de beauté sous la plume de Patrick Ness (auteur de la déroutante trilogie Le Chaos en marche ou du plus récent Et plus encore.), il fut une histoire imaginée par Siobhan Dowd, qui – emportée par la maladie – n’a jamais pu achever ce récit.

J’avais et j’ai encore l’impression d’avoir reçu le témoin dans une course de relais, comme si un écrivain particulièrement remarquable m’avait donné son histoire et dit: « Vas-y, prends-là et cours. Secoue le monde. » Alors, c’est ce que j’ai voulu faire. Essayer d’écrire un livre que Siobhan aurait aimé. Maintenant, l’heure est venue de vous rendre le témoin. Les histoires ne s’achèvent pas avec les écrivains. Note des auteurs.

Patrick Ness nous plonge avec stupeur et effroi au plus profond des craintes qui nous animent. Le monstre n’est qu’un prétexte, un effrayant prétexte certes, qui révèle avec subtilité nos angoisses enfouies. Ce texte vient remuer les entrailles et serrer nos cœurs saisis par la certitude que nos peurs ont quelque chose d’indomptable. Dans ce voyage métaphorique au sein des cauchemars d’un enfant, un combat singulier se joue, avec pour seul arbitre le pouvoir de la littérature, des mots et l’art si difficile de raconter des histoires. Patrick Ness excelle ici et malmène nos émotions. Dans un style moins complexe et obscur que d’autres de ses titres, il transporte le lecteur dans un univers noir et saisissant dont il ne sortira pas indemne.

Enfin, l’édition illustrée de Jim Kay (qui vient de publier un sublime Harry Potter illustré ), proposée par les éditions Gallimard Jeunesse, offre la plus terrifiante des manières de donner corps à ce montre qui hante le jeune garçon (et les lecteurs par la même occasion.) Le travail du noir et blanc est somptueux et vous inflige une véritable gifle graphique. Contrastes, finesse du trait, sens aigu du détail, explosion de lumière dans les ombres obscures, le travail magistral de l’artiste sert magnifiquement le travail de l’écrivain. Nous sortons de cette lecture différents, et c’est indubitablement là, le signe que nous avons affaire à une grande oeuvre.

Quelques minutes après minuit – Patrick Ness.

D’après l’histoire originale inachevée de Siobhan Dowd

Illustrations de Jim Kay

Chez Gallimard jeunesse

(Existe en poche, chez Folio, mais ce serait vraiment dommage tant cette édition est belle.)

ISBN 978-2-07-064290-8

215 pages  / 18 euros

31 réflexions au sujet de « Quelques minutes après minuit – Patrick Ness »

  1. Cela fait quelque temps, trop longtemps, que je passe par ici sans prendre un instant pour commenter : il était temps que je m’arrête à nouveau saluer tes articles si détaillés et si remplis de tes émotions de lectrice… et pas que. Merci, jolie Moka, et au plaisir de revenir plus souvent, désormais !

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