Quelques minutes après minuit, un monstre apparaît, qui apporte avec lui l’obscurité, le vent et les cris. C’est quelque chose de très ancien, et de sauvage. Le monstre, vient chercher la vérité.
Tic Tac. Tic Tac. Tic Tac. Un bruit familier. Un bruissement de feuilles. Une vieille rengaine qui dit le temps qui s’écoule.
Tic Tac. Tic Tac. Tic Tac. Encore quelques minutes. Et le cauchemar fera des nuits de Conor, le théâtre d’une lutte sans merci.
Comme si le quotidien de ce jeune garçon n’était pas assez morne. Le sourire sur le visage de sa mère n’est motivé que par l’espoir de jours meilleurs. Gravement malade, elle s’accroche à la vie et lutte contre un crabe qui la dévore. Conor semble lui aussi confiant en la médecine et la complicité qui le lie à sa maman est belle et forte. Nous sommes bien loin de le relation houleuse qu’il entretient avec sa grand-mère, relais de fortune pour les jours où la force et le courage ne suffisent plus. Au collège, la vie ne l’épargne guère plus. On le regarde, on chuchote, on lui trouve des excuses. Lui qui voudrait se fondre dans la masse se voit rappeler constamment qu’il n’a pas une vie tout à fait comme les autres. C’est peut-être cette impression-là qu’il ne parvient définitivement pas à accepter.
Ses nuits prennent soudainement une autre tournure lorsque que le vieil if du jardin semble s’animer et devenir si menaçant qu’il pénètre lentement dans la maison familiale. Très vite, Conor perd pied entre réalité et cauchemar et peine à discerner la part de vérité, de réel, dans ce drôle de tour que lui joue son imaginaire. Chacune de ses visites n’a rien d’anodin et encore moins de gratuit. C’est un monstre conteur qui sait bien des histoires sombres et cruelles, des petites fables dont les fins soulèvent des questions morales qui poussent à réfléchir et à quitter le manichéisme des contes traditionnels. Comment trouver sa vérité ? Comment rester juste en dépit des apparences trompeuses? Les interrogations suscitées dérangent Conor et quelle n’est pas sa surprise lorsque le monstre lui annonce un curieux décompte : la quatrième histoire sera la sienne. Que Conor se prépare, ce sera bientôt à lui de devenir le maître du récit.
Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes. Les histoires chassent et griffent et mordent. (…) Tu sais que ta vérité, celle que tu caches, Conor O’Malley est la chose que tu crains le plus. Tu me raconteras la quatrième histoire. Tu me raconteras la vérité.
D’abord provocateur et un poil hautain, Conor se moque presque avec mépris de cette créature végétale. Mais peu à peu, un lien très fort, presque addictif va se tisser entre eux. Le comportement de Conor change alors et son entourage en fait les frais. Le petit garçon discret serait-il en train de quitter ce moule de pitié et de tristesse dans lequel on l’enferme? Qu’a bien pu réveiller en lui ce titan de feuilles et de racines ? Qu’attend-il au juste de lui, chaque soir, quelques minutes après minuit ?
Tu auras peur pourtant. Avant la fin…

Voilà un roman jeunesse qui mérite qu’on parle encore et encore de lui. Avant d’être un conte sombre et terrifiant de beauté sous la plume de Patrick Ness (auteur de la déroutante trilogie Le Chaos en marche ou du plus récent Et plus encore.), il fut une histoire imaginée par Siobhan Dowd, qui – emportée par la maladie – n’a jamais pu achever ce récit.
J’avais et j’ai encore l’impression d’avoir reçu le témoin dans une course de relais, comme si un écrivain particulièrement remarquable m’avait donné son histoire et dit: « Vas-y, prends-là et cours. Secoue le monde. » Alors, c’est ce que j’ai voulu faire. Essayer d’écrire un livre que Siobhan aurait aimé. Maintenant, l’heure est venue de vous rendre le témoin. Les histoires ne s’achèvent pas avec les écrivains. Note des auteurs.
Patrick Ness nous plonge avec stupeur et effroi au plus profond des craintes qui nous animent. Le monstre n’est qu’un prétexte, un effrayant prétexte certes, qui révèle avec subtilité nos angoisses enfouies. Ce texte vient remuer les entrailles et serrer nos cœurs saisis par la certitude que nos peurs ont quelque chose d’indomptable. Dans ce voyage métaphorique au sein des cauchemars d’un enfant, un combat singulier se joue, avec pour seul arbitre le pouvoir de la littérature, des mots et l’art si difficile de raconter des histoires. Patrick Ness excelle ici et malmène nos émotions. Dans un style moins complexe et obscur que d’autres de ses titres, il transporte le lecteur dans un univers noir et saisissant dont il ne sortira pas indemne.
Enfin, l’édition illustrée de Jim Kay (qui vient de publier un sublime Harry Potter illustré ), proposée par les éditions Gallimard Jeunesse, offre la plus terrifiante des manières de donner corps à ce montre qui hante le jeune garçon (et les lecteurs par la même occasion.) Le travail du noir et blanc est somptueux et vous inflige une véritable gifle graphique. Contrastes, finesse du trait, sens aigu du détail, explosion de lumière dans les ombres obscures, le travail magistral de l’artiste sert magnifiquement le travail de l’écrivain. Nous sortons de cette lecture différents, et c’est indubitablement là, le signe que nous avons affaire à une grande oeuvre.
Quelques minutes après minuit – Patrick Ness.
D’après l’histoire originale inachevée de Siobhan Dowd
Illustrations de Jim Kay
Chez Gallimard jeunesse
(Existe en poche, chez Folio, mais ce serait vraiment dommage tant cette édition est belle.)
ISBN 978-2-07-064290-8
215 pages / 18 euros
Comment fais-tu pour trouver de telles perles ???
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai assurément les libraires les plus merveilleuses du monde. Bon après, je dois lire plus vite leurs merveilleux conseils car ce titre m’attendait depuis trop longtemps…
J’aimeJ’aime
Waouh, le graphisme à l’air vraiment fou fou fou ! Je veux !
J’aimeJ’aime
Ah mais complètement. Il te cloue au sol et alors associé au texte, c’est encore plus fou !
J’aimeJ’aime
Oh ton billet me tente carrément!! C’est le genre de livre qui peut me plaire. Je le note tout de suite 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai trouvé ça fabuleux. J’espère que tu aimeras aussi!
J’aimeAimé par 1 personne
Je te dirai! 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, avec plaisir !
J’aimeJ’aime
Cela fait quelque temps, trop longtemps, que je passe par ici sans prendre un instant pour commenter : il était temps que je m’arrête à nouveau saluer tes articles si détaillés et si remplis de tes émotions de lectrice… et pas que. Merci, jolie Moka, et au plaisir de revenir plus souvent, désormais !
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai eu un véritable coup de cœur pour cet auteur avec le Chaos en Marche. Je pense le découvrir avec ce nouveau livre dont je n’avais pas encore entendu parler 🙂
J’aimeJ’aime
Tu seras sans aucun doute séduite par ce livre ! Le Chaos est sur ma PAL, je pense le commencer bientôt.
J’aimeAimé par 1 personne
Il m’attend, tu le sais… Le pire, je n’ai aucune excuse pour le faire traîner de la sorte… Je sens que je vais adorer ! ❤
J’aimeAimé par 1 personne
Alors file me lire ce bijou Noukette de mes nuits… Je pense que je vais être un peu attristée si tu n’aimes pas…
J’aimeJ’aime
Oh là là, j’ai pas envie d’avoir trop peur !
Je jette un œil et pourquoi pas.
J’aimeJ’aime
Un roman sublime autant pour l’écriture que pour le graphisme!!
J’aimeAimé par 1 personne
Dans le genre roman graphique pour ado est-ce que tu as lu cette merveille qu’est « Black Out » de Brian Selznick ? http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/45288-black-out
J’aimeJ’aime
Il est depuis trop longtemps dans ma PAL !
J’aimeJ’aime
Un incontournable, quoi 😉
J’aimeJ’aime
… que tu as contourné ou que tu connais ? 😉
J’aimeJ’aime
Je l’ai lu l’année dernière pour le challenge d’Halloween et je l’ai adoré (même si je l’ai fini les larmes aux yeux). Une vraie pépite que j’ai très envie de relire d’ailleurs !
J’aimeAimé par 1 personne
Je pourrais le relire avec la même émotion. J’aimerais que mes 4e le lisent quand j’aborderai avec eux la notion du fantastique.
J’aimeJ’aime
Un graphisme particulier qui m’intrigue.
J’aimeJ’aime
L’histoire est tout aussi étrange…
J’aimeJ’aime
Un gros coup de coeur pour moi. Je redoute l’adaptation ciné. On croise les doigts !
J’aimeAimé par 1 personne
Je ne savais pas qu’il y aurait une adaptation. Comme toi, je croise les doigts pour que cela se fasse avec beaucoup de subtilité. Sais-tu qui sera aux commandes ?
J’aimeJ’aime