Neuvième art

Le Voyage de Phoenix – Jung

Je naviguais à vue. En cherchant à combler un vide.

Jennifer sait peu de choses sur son père, soldat américain ayant franchi la ligne interdite en Corée du Nord. Elle a construit sa vie avec cet absent souvent sali par la douleur et la honte. Il a fui, n’est plus que le sale communiste, le traître et semble bien loin de l’image des héros américains qu’on encense avec ferveur. Elle a choisi de vivre et travailler dans un orphelinat à Séoul pour ne pas briser, peut-être, le fil invisible qui la lie à son disparu.

Aron et Helen adoptent Kim. Un petit garçon à la peau couleur miel et aux yeux en amande. Un nouveau venu qui va bouleverser leur vie bien plus qu’ils ne l’imaginaient.

Doug a bien des médailles et des galons brillants accrochés à sa chemise et sa carrière de militaire est venue combler bien des vides. C’est lui qui a encouragé Aron à adopter un enfant et il semble bien désemparé quand son ami perd pied face aux sales tours que lui joue cette catin de vie.

Phoenix : oiseau légendaire qui symbolise les cycles de morts et de résurrections. Résilience : aptitude individuelle à faire face aux épreuves majeures de la vie.

Une fois les personnages présentés, voilà le lecteur entraîné dans un roman graphique oscillant entre tristesse, nostalgie et joies partagées. Dans un tourbillon d’instants qui explose la chronologie narrative, les vies qui se croisent et s’entremêlent se laissent prendre au jeu des coups du sort, des regrets, des quêtes vaines et silencieuses. Certains subissent les surprises du temps qui passe, luttent contre des forces qui les dépassent, fuient l’oppresseur tyrannique, noient leur chagrin dans l’oubli illusoire quand d’autres capitulent et acceptent que la vie les dévore.

Aux trois récits qui se veulent le fil conducteur d’une histoire sur l’absence s’ajoutent des parenthèses nécessaires pour comprendre combien l’Histoire n’est pas étrangère aux souffrances de nos héros. (Certaines planches m’ont souvent renvoyée à la lecture glaçante de Rescapé du camp 14 de Shin Dong-hyuk) Qu’elle les touche, les effleure, les frôle ou les heurte de plein fouet, elle s’immisce insidieusement dans leur vie en leur rappelant combien elle a conditionné leur existence. Face à cette puissance quasi tragique et absolument incontrôlable, les hommes et les femmes, tels des phœnix tentent, par tous les moyens de renaître de leurs cendres avec plus ou moins de réussite, mais non sans un amour inconditionnel de l’autre et de la vie.Quel est le sens de la vie? Une question que je me suis souvent posée dans ma jeunesse. Je cherchais désespérément une réponse, comme si elle existait dans un livre.

C’est avec beaucoup d’émotion que j’avais tourné les pages de la sublime trilogie de JUNG: Couleur de peau miel. L’amiénoise veinarde que je suis avait également eu la chance d’assister à une jolie rencontre avec l’artiste (clic) il y a maintenant deux ans à la Maison de l’Égalité d’Amiens. C’est évidemment avec une certaine impatience que j’attendais de lire cette nouvelle publication.

Sans surprise, je suis conquise. Le trait de Jung a cette puissance qui vous prend aux tripes et force l’admiration. Les nuances ont la part belle: des noirs sombres et profonds que l’on réserve aux fantômes de la douleur aux blancs grisés qui laissent une petite place à la lumière et à la renaissance. Certaines planches vous filent des gifles magistrales et vous rappellent combien cet artiste a la capacité de vous entraîner dans son univers en quelques pages. Vous ne serez pas étonnés de retrouver les thèmes qui nourrissent son Œuvre à savoir la question des origines, de la quête identitaire  (de l’abandon à l’adoption.) Sans redite ni redondance, le passage de l’œuvre autobiographique à l’œuvre fictionnelle est une réussite et si l’on peut y entrevoir quelques longueurs digressives, elles sont à mes yeux indispensables pour comprendre aussi, les bouleversements historiques d’une Corée à jamais marquée par une histoire douloureuse et glaçante. Un album placé sous le signe des retrouvailles graphiques d’une beauté à couper le souffle où chaque chapitre s’ouvre sous le vol d’un animal légendaire qui enrobe notre lecture de son aura et de son charisme insaisissables.

Ma chronique sur Couleur de peau miel

Le récit d’une belle rencontre avec Jung à Amiens.

Le Voyage de Phoenix – Jung

Éditions Soleil – QUADRANTS

300 pages – 19,99 euros

ISBN: 978-2-302-04785-3

Octobre 2015

 

5/6
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38 réflexions au sujet de « Le Voyage de Phoenix – Jung »

  1. Le dessin me plait beaucoup et ta chronique me donne l’eau à la bouche. J’avais d’ailleurs complètement oublié mon envie de lire « couleur de peau miel » et je viens juste de réserver les 3 tomes grâce à toi. Vive internet et vive les médiathèques !

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  2. Je suis tombée par hasard dessus lors de ma dernière visite dans ma librairie et j’ai tout de suite aimée, j’avais déjà des achats de prévu (depuis longtemps) alors je me suis contentée de le noter sur ma LAL mais, à mon avis, je me l’offrirais pour Noël (ou me le ferais offrir ;0) Je mets ton billet dans vos plus tentateurs, bises

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  3. Le dessin me plait beaucoup parce qu’il est sobre et noir et blanc (oui les couleurs m’agressent généralement), c’est drôlement beau ce que tu en dis, on aurait presque l’impression que tu ne parles pas d’une BD mais d’un roman. d’ailleurs, qu’elle est la différence entre BD et roman graphique ? Le second serait plus abouti peut-être? plus long? plus construit?
    En tous les cas, je le note dans un coin de ma tête…

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