Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Les gens dans l’enveloppe -Isabelle Monnin-Alex Beaupain

Les gens dans l'enveloppe
Il n’y a pas la place pour deux absents en moi. Je suis tous mes manques.

J’ai d’abord regardé la couverture. Lu les quelques mots retraçant rapidement la genèse du projet. Feuilleté fébrilement ce livre, croisé les visages et les figures. Ces rides pleines de sourires, cette enfance immortalisée, ces photos qui pourraient être celles de nos vies qui courent et filent plus vite que le papier ne s’amuse à jaunir. J’ai glissé le CD dans mon ordinateur à la petite pomme pour retrouver des voix que j’aime, des mots qui lorsqu’ils sont signés Beaupain laissent toujours des traces. Et puis j’ai profité de ce samedi de pluie et de ce dimanche gris, pour enfin découvrir les mots d’Isabelle Monnin et partir à la rencontre de ces gens nichés, là, dans l’enveloppe.

Nos peaux sont des enveloppes qui entourent ce que nous sommes vraiment et qu’on ne verra jamais.

Fixer. Saisir l’instant. La photo fige les êtres et prolonge les moments partagés. Un jour, ces clichés se retrouvent enveloppés de papier et suivent un chemin inattendu. Isabelle Monnin ouvre une enveloppe et scelle d’ores et déjà les premiers pas d’une magnifique histoire de plume et de notes faite de souvenirs ensommeillés dont elle ne sait encore rien et dont le passé reste à saisir, la « vérité » à écrire

J’apprends que Sébastien est un va-et-vient, son courant alternatif me torture. Il me délaisse pour mieux me retrouver, ainsi tournoie notre valse. Je suis de celles qu’on abandonne, il est de ceux que rien n’attache. Disons que nous sommes faits l’un pour le trou de l’autre. Je commence une collection de disparitions. Je me couche en serrant dans mes mains ses absences.

Des histoires de femmes. Et d’hommes qui traversent ces vies parfois figées par le silence. Cette petite fille, d’abord, cette « Laurence ». Ceux qui l’entourent et ceux dont l’absence crève les yeux et le cœur. Il y a cet homme Serge qui sourit parfois sur les photos. Isabelle Monnin donne à ces clichés achetés ce que la littérature a de plus beau à offrir: le pouvoir de l’imagination, la folie du fantasme. Ces vies qu’elle rêve et écrit constituent la première partie de l’ouvrage. A l’image de son récit, l’écriture se fait fragments, bribes. Des phrases, s’évaporent les virgules. Des phrases, surgissent les spectres d’inconnus qu’elle construit, reconstruit, déconstruit.

Nous voilà touchés en plein cœur par cette petite fille qui grandit et qui, un jour, décide de ne plus passer sa vie à attendre, qui refuse l’inacceptable: l’abandon d’une mère qui étouffe, d’une femme qu’on a voulu trop tôt, trop vite figer dans un mélange de boue, de campagne et de béton. A l’autre bout de l’histoire, une autre femme attend, s’abandonne, dans une dernière danse.

Elle pourrait rester si elle ne devait partir.

Au fil du récit, les secrets s’emportent, les pages s’allègent, les lignes s’épurent pour devenir une prose poétique qui résonne. Encore. Bien au-delà du point final… La transition se fait douce sur fond de clichés jaunis. Le rideau de la fiction retombe et laisse place aux lueurs de l’enquête. Qui se cache derrière ces êtres dont la vie semble s’être arrêtée en un clic photographique?

Où vont les mots quand le papier brûle? (…) Où vont les secrets quand il n’y a plus personne à qui les cacher?

C’est donc au tour de l’enquête de livrer ses secrets, de dérouler les cartes, d’expliquer les parcours. L’auteur quitte sa plume de romancière pour celle de la journaliste. Elle (s’)interroge, rencontre, enquête, (se) questionne. Elle tremble un peu parfois, la fébrilité n’épargnant personne quand on cherche à réveiller les souvenirs. Elle confronte fiction et réel, restant fidèle au pacte, à sa promesse: rien de ce que la réalité lui apprendra ne viendra transformer ces vies frôlées, fantasmées. Il y aura deux histoires, deux récits, et tant d’autres vérités tues, éternellement insaisissables. Un autre regard sur une histoire qu’on apprécie de voir durer encore et qui dévoile ses mystères, un pas à pas pudique, humble et riche de ces rencontres qui marquent définitivement les êtres, les Gens.

Les gens sont des histoires, tu les inventes, ils vivent plus que vrais. Les gens sont une silhouette sur une photo et toute la vie ils sont un pull rayé, un tableau au-dessus de la cheminée, un clocher bande claire, des lunettes fumées, un poulet rôti et des coupes fières. Les gens sont des dates, tu les notes scrupuleusement, des maisons, tu les visites, un bord de rivière, un plat préféré, des cicatrices que rien ne soigne, tu souffles doucement dessus. Les gens sont maintenant des chansons, tu les écoutes, et si tu pleures un peu, tu as raison.

Et puis, voilà que pour couronner le tout, Alex Beaupain mon amour s’est invité dans cette histoire belle et folle. Et comment dire… Il suffit d’une note. Et l’on sait. D’un mot. Et l’on aime. Ajoutez à cela la voix unique de Camélia Jordana dont l’enrouement fragile envoûte, celle de la merveilleuse Clothilde Hesme qui sait aussi nous charmer pour d’autres chansons d’amour. (Mon Cher est belle à en pleurer…) et celle de Françoise Fabian que je découvrais, qui porte à merveille toute l’émotion de ces mots-là. (S’étendre sur la table #Bam) Et discrètement, les gens ne sont plus que de simples images. Leur voix surgissent à mesure qu’une autre page s’écrit sur les touches d’un piano. Des voix tantôt sereines, douces, émues, fragiles. On voudrait saisir plus que ce qu’elles nous offrent mais nous nous satisfaisons de cette enveloppe musicale qui nous enrobe en apprenant, à notre tour, à vivre avec nos absents.

Un vrai coup de foudre pour ce petit bijou.

Son corps est aussi, de pierre et de bois. C’est à peine si, il sait qu’il a froid. Ses bras tombent comme les feuilles et les branches que les mains des hommes, débitent en planches. Comme elle est partie, il boit cœur de pierre, Souchon et Voulzy, Johnny a les nerfs. Il s’écroule enfin, débranche et s’effeuille, puis jusqu’au matin, ne dort que d’un œil. – Du bois et des pierres

Le billet de Lucie.

Le site d’Alex Beaupain.

Un instant avec Alex Beaupain.

3/6

– Les gens dans l’enveloppe

Isabelle Monnin & Alex Beaupain

JC Lattès

22euros / 380 pages

ISBN:978-2-7096-4983-4

52 réflexions au sujet de « Les gens dans l’enveloppe -Isabelle Monnin-Alex Beaupain »

  1. Comme tu causes divinement bien de ce livre qui me fait tant envie 😉 irai aujourd’hui le chercher ! voilà c’est dit !
    merci demoiselle
    du baiser et une jolie semaine à toi ❤

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    1. (J’pensais avoir été claire dans l’article pourtant…)
      Alors, oui, le livre est divisé en trois. Une première partie « romancée », un feuillet central (avec les photos) et une troisième partie avec le pas à pas de l’enquête d’Isabelle Monnin.
      Et puis, à la fin du livre, tu trouveras l’album à écouter, encore et encore…

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      1. Mouahahah. Non, je ne me permettrais pas. Mais parfois, on peut être tellement prise par notre envie de donner envie de lire le livre qu’on en oublie d’aller à l’essentiel… Toussa pour dire que j’espère que tu te plongeras avec autant de plaisir que moi dans ces pages. Bonne soirée Mademoiselle la Rousse. 😉

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  2. Comme j’ai envie de le découvrir ! ❤
    C'est un projet que je trouve superbe et qui me parle déjà avant même de le lire.
    Il m'arrive d'acheter de vieilles photos. J'ai dans mon salon une très vieille photo de mariage en noir et blanc. Je ne sais rien de cette famille mais ces visages me fascinent…

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  3. Et voilà. J’étais déjà hyper tentée!
    Là c’est décidé, aujourd’hui je l’achète.
    Et il passera devant toute ma multitude de livres à lire!
    Tu en parles tellement bien que j’en suis déjà un peu amoureuse…
    Vivement qu’il soit entre mes mains!

    Merci

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  4. Ce titre, je l’avais remarqué. Mais là, avec ce magnifique billet, comment ne pas avoir envie de me jeter dessus????
    Mille mercis pour cette chronique.
    Et je te dirai si ton coup de cœur est partagé.
    Belle soirée à toi Moka.

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  5. Il est magnifique ton billet Moka… Je ne vais pas te dire que tu m’as convaincue parce que je l »étais déjà en fait. D’abord parce que tout ce que fait l’auteur m’attire ensuite parce que je suis très curieuse de ce que ça peut donner. Et là, depuis que j’ai vu Isabelle à la Grande librairie je n’ai plus qu’une envie le lire !! Alors ce soir, lors de ma visite à ma librairie je l’achèterais avec bonheur :0) Je mets ton billet dans vos plus tentateurs évidemment (comment ne le pourrais je pas :0) J’espère que ta rentrée s’est bien passée, la notre super, Petitdernier est enfin délivrée du poids de la mauvaise (très) ambiance de son ancienne école primaire et je suis ravie :0) Bisous et beau mois de septembre Moka

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  6. C’est bizarre, ce livre ne me tente pas du tout. Peut-être partir de ces photos, je ne sais pas. J’ai écouté son intervention @LGL et je n’ai pas été emballée non plus. Et puis vient ton billet et toute cette émotion et douceur que tu y mets. Grâce à ton billet , je ne pourrai pas ne pas l’emprunter à ma médiathèque. Bravo. je t’embrasse

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  7. Même commentaire (et question ; j’ai lu ton autre article, je suis jalouse… et réécoutes A nos amours) que Valérie. Je suis plus tentée par la musique que par le livre lui-même, même si tu transmets très bien tes émotions, en donnant envie de les ressentir à son tour. Le CD n’est disponible qu’avec le livre, impossible de le trouver sur Deezer et « tricher » ?

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  8. J’étais très circonspecte sur la démarche de départ, surtout après LGL où j’ai trouvé que le livre était mal présenté, mais je vais le lire pour me faire mon avis. La greffe Beaupain, je ne demande qu’à aimer, mais quelque chose me parait confus dans tout cela, ton billet me convainc dans l’idée qu’il faut que ‘jy aille quand même.

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  9. Quel beau billet!!!! C’est peut-être l’un des seuls romans de la rentrée littéraire qui me tente! J’ai trouvé Isabelle Monnin convaincante dans « On n’est pas couché » et les extraits lus par Laurent Ruquier (qui a adoré) étaient juste waw!

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  10. J’ai vu Isabelle Monnin à la soirée RL du Furet, et j’ai aussi entendu un extrait de la « BO’ du livre composée par Beaupin ce soir-là, cela m’a donné TRÈS envie de découvrir cet OVNI de la rentrée littéraire… Ton article aussi !

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