L'Art du Roman

La Fractale des raviolis – Pierre Raufast

Je comprends qu’un homme puisse sauter une femme par dépit, par vengeance, par pitié, par compassion, par désœuvrement, par curiosité, par habitude, par excitation, par intérêt, par gourmandise, par nécessité, par charité, et même parfois par amour. Par inadvertance, ça non. Pourtant, ce substantif vint spontanément à l’esprit de Marc, lorsque je le pris sur le fait avec sa maîtresse (…) Cette inadvertance-là fut de trop et déclencha tout le reste.

Elle est là, juste derrière la porte. Elle ouvre. Déplore. Monsieur a le sexe volage et s’acoquine avec une autre en faisant preuve -en pâle Don Juan des temps modernes – d’une application de tous les instants. L’heureux homme. Qu’il savoure cette petite mort. Vite. Parce qu’on sous-estime peut-être trop la rage qui nourrit le cœur et les tripes d’une femme trompée. Qu’il exulte, qu’il déguste, qu’il jouisse, qu’il revive, qu’il se perde encore un instant dans ces bras-là. Un plat brûlant l’attend. Et ce sera le dernier, faisant mentir le dicton qui promet que la vengeance est un plat qui se mange froid.

A son tour de briller maintenant. Elle prépare, avec autant de cœur que de rancœur un dîner de future veuve. Infidèles, vous ne mangerez plus jamais un plat de raviolis sereinement… Mais voilà qu’elle s’égare dans ses pensées et tire le petit fil de cette pelote pleine d’histoires savamment concoctées par Pierre Raufast.

J’aurais dû prendre cette décision beaucoup plus tôt. Mais tuer son premier amour – fût-il le plus abject des êtres- mérite toujours un temps de réflexion, d’acceptation et de préparation. Ne pas le rater. Ne pas être soupçonnée. Ne pas perdre l’assurance-vie.

Offrir un incipit plein d’humour et de cynisme sur un thème on ne peut plus exploité en littérature n’est pas chose aisée. D’emblée, le ton est donné et la curiosité titillée. L’œuvre dont on tournera les pages laisse rapidement entendre que l’histoire racontée en offrira bien d’autres. En effet, voilà un premier chapitre qui provoque une cascade de récits, tous ingénieusement intégrés au roman et reliés par le biais d’un jeu habile d’associations d’idées, de souvenirs imbriqués. De l’homme adultère au projet de meurtre s’ajoute le récit d’un homme troublé face à cette fille peu farouche qu’il ne s’attendait pas à croiser, celle d’un garçon pas comme les autres que les adultes transformeront en une machine monstrueuse, celles de psychopathes en devenir ou en puissance… Le lecteur tire, déroule ce fil, s’enroule et s’emmêle parfois ne le nions pas… Au bout du chemin, un retour à l’histoire originelle qui vient achever cette balade aussi singulière que déroutante.

Toi, petit, si tu flirtes trop avec la vérité, attends-toi à devenir fou.

Voilà un roman étonnant qui a eu le mérite de chambouler mes habitudes de lectrice. Pierre Raufast se lance dans un projet narratif ambitieux et complexe qui déstabilisera probablement bien des lecteurs. Je ne vous cacherai pas que j’attendais tout autre chose, notamment un récit bien plus développé autour du couple qui ouvre le bal… Ceci dit, je salue clairement ce souffle novateur et cette prise de risques audacieuse. Quelques écueils demeurent et les nombreuses digressions risquent d’en perdre plus d’un mais quel plaisir de se laisser prendre à ce jeu-là… Me voilà bel et bien prête à découvrir La Variante chilienne qui a fait sa grande rentrée littéraire et qui m’attend déjà sagement sur mes étagères…

 

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La Fractale des raviolis Pierre Raufast

Première parution chez Alma

En poche chez Folio

ISBN: 9782070464449

39 réflexions au sujet de « La Fractale des raviolis – Pierre Raufast »

    1. Je pense que chaque histoire porte en elle un potentiel qui gagnerait à faire de bons petits romans. Le format « court » peut être taxé de légèreté mais à mes yeux il s’agirait plutôt de frustration.

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  1. Pour un premier roman c’est quand même très fort ! La variante est plus maîtrisé je trouve, on reste dans le même registre mais on sent plus de maturité dans la narration. Tu me diras 😉

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  2. J’ai adoré l’incipit : vraiment, ce sont lui et le titre très mathématique( + l’avis de blogocopines comme Miss Léo) qui m’ont motivée à le lire. C’est un roman très sympa mais j’ai largement préféré La variante chilienne plus aboutie, moins en défauts. Bises

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