L'Art du Roman

Mr Gwyn Alessandro Baricco

J’ai un faible pour les gens qui disparaissent.

Jasper Gwyn est catégorique et n’allez pas croire -comme son agent-éditeur- qu’il s’agit là d’un caprice. Las de son statut d’écrivain à succès, il dresse la liste des choses qu’il ne souhaite plus jamais faire dans la vie. Le point final a de quoi semer la panique dans le milieu littéraire puisqu’il annonce qu’il n’écrira plus jamais. En pleine crise d’écriture, comme d’autres ont leur crise de la quarantaine, il abandonne la plume pour un retour à la simplicité, une plongée dans l’anonymat et une rupture avec l’art de si bien conter les histoires. Fort de son succès, il peut se permettre de vivre aisément le temps de se faire oublier. Oui mais voilà, comment concilier ses pulsions d’écriture, son besoin viscéral de jongler avec les mots et son intransigeante résolution de ne plus jamais être écrivain?

Il finit donc par comprendre qu’il était dans une situation que partagent beaucoup d’êtres humains, mais pas moins douloureuse pour autant, à savoir : la seule chose qui nous fait sentir vivants est aussi ce qui, lentement, nous tue.

Le hasard met sur sa route une vieille dame qui lui soufflera quelques pistes pour concilier ce besoin irrépressible d’écrire, et cette nécessité absolue de ne plus être lu par tous.

Elle n’avait pas été surprise quand Jasper Gwyn lui avait fait cette proposition. C’était exactement le genre de chose qu’elle avait appris à attendre de la vie.

Jasper Gwyn se lance dans un projet atypique et déroutant, rythmé par un ballet lumineux savamment orchestré. Tel un peintre sans pinceau, il copiera les gens, écrira les visages, les corps et les vies en choisissant, de la plus ingénieuse des manières, d’écrire leur portrait, en s’interdisant l’écueil facile de la description. Un choix qui viendra bouleverser des vies, mais aussi réveiller la sienne.

Le neuvième (ndlr: le neuvième portrait) pour une femme qui voulait tout oublier sauf elle-même et quatre poèmes de Verlaine.

Ce livre s’est glissé dans ma valise roumaine et autant dire qu’il a quasiment été lu d’une traite tant j’ai aimé cette histoire. Océan mer et Soie m’attendent encore sur mes étagères et autant dire que je n’en resterai pas là avec Alessandro Baricco. Avec Mr Gwyn, il signe un roman très fort sur la puissance de l’écriture, le pouvoir des mots sur les gens et sur cette magie impalpable de l’Art. On se laisse prendre au jeu, on l’autorise à piquer notre curiosité et l’on voudrait, nous aussi, pousser la vieille porte de l’atelier de cet artiste capable de si bien dire nos vies singulières.

Le vieil homme eut peut-être les larmes aux yeux, mais on ne pouvait l’affirmer, parce que les yeux des vieux pleurent toujours un peu.

Une brève chronique au sujet d’Alessandro Baricco à écouter sur France Inter.

Mr Gwyn Alessandro Baricco

Folio

Traduit de l’italien par Lise Caillat

  215 pages / 7€

ISBN : 978 2 07 045451 8

44 réflexions au sujet de « Mr Gwyn Alessandro Baricco »

  1. tiens , tiens, je l’ai également glissé dans mon sac de vacances et je n’ai pas réussi à le lire, j’ai trouvé son début très artificiel, mais ton billet me dit que je me suis trompée alors je vais recommencer.

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    1. Il vient de sortir de ma PAL pour atterrir dans mes draps… Je le commence ce soir.

      Han, mais je réalise en te lisant que tu parles donc du Soie de R.Dautremer ??? Je n’avais pas fait le lien. Mon banquier aurait préféré que tu ne me dises jamais ça…

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  2. J’aime Baricco, et son écriture… Pas lu celui-ci 😉 et pourtant il est là, sur mes étagères, il n’attend que moi 😉
    des bisous jeune fille ❤ ❤ ❤

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  3. Je l’ai justement réservé à la bibliothèque! Un roman sur l’écriture et le portrait d’un écrivain, ça me donnait très envie. Évidement ton billet me conforte dans cette idée 😉

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  4. J’ai découvert Alessandro Barrico avec « Novecento pianiste ». Il faut que tu l’ajoutes à ta liste, c’est un magnifique court roman
    En ce qui me concerne je n’ai pas encore lu Mr. Gwyn

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  5. Il me tente depuis que j’ia lu « trois fois dés l’aube » qui reprend une histoire inclue dans celui ci. J’avais adoré « océan mer » j’en garde un souvenir puissant, j’ai peur de le relire de peur d’être déçue mais si une lecture commune te tente, fais moi signe !

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    1. Tu n’es pas le premier à me parler de Novecento : pianiste. Il faudra que je l’achète. Quant à Soie, je l’ai lu hier et j’ai beaucoup aimé. Peut-être moins léger que Gwyn mais comme l’histoire est belle.

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  6. J’ai adoré Océan mer et Soie mais je recule toujours devant ce livre. Je n’aime pas le titre, ni la couverture, et un écrivain qui parle d’un autre écrivain… pfff… j’ai un peu peur du nombrilisme, j’avoue ! Cela dit ton article pourrait bien me faire baisser ma garde ! 😉

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  7. En général, je suis très peu déçue par les parutions de la collection Folio… Je trouve que Gallimard fait parfois des choix audacieux, mais qui valent la peine d’être mis en valeur.
    Je ne connaissais pas du tout ni le livre ni l’auteur, mais là, tu me donnes très envie de passer en librairie voir s’il est en rayon !

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    1. Comme toi, j’aime beaucoup cette collection et j’ai souvent acheté mes poches en folio. Pour Baricco, je le découvre sur le tard et autant te dire que je suis ravie qu’il ait croisé ma route… J’espère que tu aimeras !

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