Et mon coeur fait boum·Que jeunesse se fasse...

Les Autodafeurs – Marine Carteron

Moka Au milieu des livres
Les Autodafeurs: la trilogie de Martine Carteron.

La demoiselle à la tenue trop sage et aux couettes blondes se prénomme Césarine. Le grand sous sa casquette n’est autre que Gus, son « imbécile » de frère. C’est devenu pour elle une vraie rengaine, un reproche plein de cette tendresse que Césarine peine souvent à mettre en mots. Ces deux voix vont tour à tour endosser le rôle du narrateur pour nous entraîner dans une trilogie où l’amour des livres occupe une place de choix.

Très vite, la culture fut la première victime de cette peur, probablement parce que tout ce qui pouvait ramener les hommes vers leur humanité était considéré comme un danger par des États de plus en plus agressifs et totalitaires.

Très vite, Gus et Césarine vont lever le voile sur un secret de famille qui va chambouler leur existence suite à la mort suspecte de leur père. Du jour au lendemain, ils quittent leur univers et leurs petites habitudes pour se retrouver au calme dans la petite maison de famille où les attendent leurs grand-parents. Jusque là, rien de plus banal direz-vous. Sauf que de fil en aiguille, nos héros vont comprendre que le destin qui leur est réservé n’a pas grand chose à voir avec une vie d’adolescent lambda. C’est le début des grandes révélations et des combats à mener. Face à eux, un groupuscule particulièrement zélé n’a d’autre ambition que de détruire tous les livres de la planète à l’aide d’une machine infernale difficile à contrer. Les bibliothèques du monde entier sont menacées et les Autodafeurs sont sans scrupule. Si La Confrérie, ordre établi par les défenseurs des livres, s’engage à corps perdu dans la résistance, le chemin sera long et les meilleures volontés seront mises à rude épreuve, la cruauté de l’ennemi n’épargnant personne.

Si je préfère me contenter des grandes lignes de ce récit d’aventure pour vous laisser découvrir l’enjeu de chaque tome, je peux vous assurer qu’il s’agit là d’une très bonne trilogie portée par une histoire haletante, riche de ses rebondissements et mystères comme on aime en trouver dans un tel genre. La force de ce livre repose également sur le magnifique personnage de Césarine, tellement à contre-courant dans le paysage littéraire. Cette « artiste » pas comme les autres, née sous la plume de Marine Carteron, fait partie de ces créations romanesques qu’on aimerait croiser plus souvent en littérature. Entre son comportement imprévisible et son besoin systématique de tout rationaliser, le lecteur ne restera pas insensible à ses propos souvent criants de vérité à la sensibilité insoupçonnable.  (Et sachez que l’on ne boudera pas son plaisir en suivant des personnages secondaires vraiment très attachants.)

L’humour est également au rendez-vous et les références et clins d’œil  glissés au fil des pages sont une jolie déclaration d’amour aux livres, à la littérature et à l’importance de la culture et de son partage. A l’heure où l’art est souvent pris pour cible, ces pages ne cessent de clamer la grandeur et la richesse d’un patrimoine à défendre sans cesse avec la plus grande des vigilances. L’actualité nous mitraille de tristes événements qui dépassent l’entendement (destruction de trésors vieux de milliers d’années, bibliothèques menacées, site pillés et mis à sac…) et trouve ainsi une résonance particulière dans le superbe récit de Marine Carteron, porteur d’un message très fort, fait de ce qu’il faut d’espoir, de pessimisme et de noirceur. Un livre jeunesse qui mérite de ne pas être uniquement mis entre les mains de nos adolescents.

Les Autodafeurs – Marine Carteron

1 – Mon frère est un gardien

2 – Ma soeur est une artiste de guerre.

3 – Nous sommes tous de propagateurs.

Le Rouergue

1056 pages / 43,80euros (Les trois tomes.)

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Lors de la sortie du tome 3 des Autodafeurs, Hélène, en bonne propagatrice, m’a proposé de travailler avec mes trolls sur les livres qui « dérangent », quelques mois après un débat houleux lancé par Monsieur Copé et qui régulièrement se retrouve nourri par des arguments complètement crétins. L’occasion d’un débat passionnant avec mes 4eC qui ont pu parler librement de thèmes très forts et de montrer que ces chers gnomes ont une ouverture d’esprit qui manque parfois cruellement à certains adultes. Un débat autour de la lecture qui a donné lieu à un texte co-rédigé avec Marine Carteron pour la sortie du tome 3 des Autodafeurs. Pour les plus curieux d’entre vous, je partage le résultat…

CDI du Collège B.
P******, Picardie

La rentrée n’était que dans une semaine mais la documentaliste du collège introduisait déjà sa clé dans la serrure du CDI. Depuis 20 ans qu’elle travaillait ici, Hélène avait toujours aimé cette semaine entre parenthèses ; pas encore la rentrée, plus tout à fait les vacances… elle se sentait en suspension et cet état de légèreté lui plaisait. La clé tourna sans effort mais la porte grinça légèrement sous sa poussée, comme si elle aussi se réveillait en baillant après une trop longue sieste.
« Deux mois… c’est long tout de même », murmura Hélène en parcourant des yeux sa salle chérie encore plongée dans l’obscurité.
Même si elle aimait les vacances et les longues heures de liberté qu’elles lui offraient pour lire, elle avait hâte de retrouver ses élèves pour pouvoir partager ses coups de cœurs de l’été. C’était pour ça qu’elle faisait ce métier : transmettre encore et toujours sa passion pour les livres, voir les yeux des jeunes 6e s’agrandir de plaisir en découvrant un nouveau héros, se marrer avec les 4eC devant des BD, rêver à d’autres mondes, d’autres terres, d’autres humanités… Partager, encore et toujours partager. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’après sa formation, quand elle avait dû choisir le rôle qu’elle allait jouer dans la Confrérie, Hélène avait décidé de devenir propagatrice dans un collège de Picardie.
À cette époque, nombreux parmi ses amis n’avaient pas compris sa décision, et elle avait même dû se justifier en expliquant longuement à quel point préserver la culture ne servait à rien si on ne la diffusait pas auprès des plus jeunes.
Il n’empêche, après le déclenchement du code noir et les mauvaises nouvelles qui ne cessaient de s’accumuler, Hélène était plutôt contente de son choix. Aujourd’hui la plupart de ses amis avaient disparu, obligés de se cacher (ou pire) tandis qu’elle restait libre, royalement oubliée par les Autodafeurs.
Quand l’alerte avait été lancée, elle avait hésité à fuir mais finalement elle s’était dit qu’elle ne pouvait pas laisser tomber ses élèves… Et elle était là, pour une vingt-et-unième rentrée.
Se dirigeant dans la pénombre jusqu’à son bureau, Hélène se redit, pour la millionième fois, qu’elle avait bien fait. « L’avenir du monde, c’est eux tout de même !», murmura-t-elle en allumant son ordinateur et en contemplant avec un sourire les lettres au Père Noël que ses élèves lui avaient écrites et qui étaient toujours bien en évidence sur son bureau. Le ronronnement de la machine emplit lentement la pièce silencieuse.
« Voilà au moins une chose qui n’a pas changée, ça rame toujours autant », grogna-t-elle en se levant pour aller brancher la photocopieuse. Celle-ci n’avait pas changé de place mais pourtant, quand les yeux d’Hélène se posèrent dessus, un léger frisson lui parcouru l’échine. Ce n’était plus la même qu’au mois de juin et, immédiatement, elle pensa aux appareils distribués par Godeyes dont Marc lui avait parlé… avant de se reprendre en souriant :
« Tu délires Hélène, ce n’est pas possible… pas ici, pas dans mon petit CDI de collège ! ». La photocopieuse n’était plus qu’à un mètre et Hélène allait enfin en avoir le cœur net quand la porte s’ouvrit brutalement sur une inconnue s’avançant main en avant.
– Bonjour. Vous devez être la professeur-documentaliste ? Je suis Madame Louberrier, la nouvelle principale. Je vois que vous avez déjà découvert la surprise !
Hélène serra la main molle que lui tendait la femme en tailleur très chic en se demandant si elle n’était pas en train de faire un cauchemar.
– C’est quoi ce bordel ? Qui vous a permis d’apporter des modifications dans mon CDI sans m’en parler ?
Le sourire de la principale disparut instantanément.
– Modérez un peu votre langage Madame Leroy. Si vous croyez que je n’ai pas vu quel type de livres vous osez fournir à nos élèves ! Alors vous serez gentille de commencer par photocopier le sommaire de chacun des ouvrages de cette salle et de me les transmettre rapidement. J’ai l’intention de vérifier moi-même que ces livres ont bien leur place dans mon collège afin de protéger les jeunes, conclut-elle avant de quitter le CDI en claquant la porte.
Plantée devant les rayonnages, Hélène cligna deux fois des yeux avant de secouer la tête pour être certaine qu’elle avait bien entendu. « Protection de la jeunesse » ? En quoi ses livres pouvaient-ils être dangereux pour les élèves ? Et depuis quand lire était-il nuisible ?
S’avançant vers les étagères la documentaliste pencha la tête sur la gauche et commença à parcourir les tranches des ouvrages : recettes de cuisine, documentaires sur les chevaux et les dauphins, encyclopédie des sports, contes de princesses, Hélène commença par être rassurée ; pas de doute, c’étaient bien les livres du cdi, mais après avoir passé en revue l’ensemble de la salle, elle finit par se dire que le compte n’y était pas. Où étaient passés les exemplaires de Guillaume Guéraud, de Claire Mazard ou d’Antoine Dole, l’album Tous à poil de Franek et Daniau, les BD Le magasin des suicides et Rouge Tagada ?
Abasourdie, Hélène finit son tour de salle devant l’affreuse machine et, même si elle n’avait aucun doute sur ce qu’elle allait découvrir, elle s’accroupit pour en vérifier la marque et le numéro de série : « Godeye’s : XIpscan ».
Hélène comprit qu’il était trop tard pour son CDI : à chaque page photocopiée les livres seraient infectés par les IGM. S’éloignant de la porte d’entrée, elle sortit sans attendre son téléphone portable et composa de mémoire le numéro que Marc De Vergy lui avait confié en cas de problème.
Ce n’était qu’une boîte vocale mais Hélène savait que son message serait retransmis à la Confrérie, et qu’une équipe de secours viendrait la chercher au point de rendez-vous.
– Je pense que j’ai été repérée. Je rejoins la résistance, murmura-t-elle avant de jeter son téléphone à la poubelle.
Le collège était encore désert et si les Autodafeurs venaient la cueillir maintenant, elle était fichue. La sagesse aurait été de fuir immédiatement mais Hélène refusait de quitter son CDI sans faire au moins un geste pour sauver ses livres. De l’eau, il lui fallait de l’eau.
Dans son petit coin, la photocopieuse semblait la défier mais la documentaliste sourit : « Comme si une simple machine pouvait me faire peur », pensa-t-elle en s’avançant vers l’espace sombre.
Hélène vérifia d’un simple coup d’œil que la photocopieuse était bien branchée avant de l’allumer et d’ouvrir son capot de maintenance. Elle ne savait pas où étaient stockés les IGM mais elle savait à quel point ces machines étaient fragiles. Alors, doucement, consciencieusement, la jeune femme vida sa bouteille d’eau minérale dans les entrailles de l’appareil, referma le capot, traça quelques mots au marqueur directement sur la vitre et lança une série de 999 photocopies.
Les feuilles se mirent à sortir en cadence sans que rien ne se passe et pendant vingt secondes, la documentaliste trembla. Avait-elle échoué ?
Trente secondes. Une fumée blanche apparut sur un côté en répandant une odeur désagréable dans la pièce.
Hélène sourit enfin et, laissant la machine agonisante derrière elle, franchit sans un regard en arrière le seuil de son CDI profané.

Quelques minutes plus tard, alertée par le déclenchement du détecteur de fumée, la directrice découvrirait la photocopieuse détruite et les 252 copies qu’elle avait faite avant de s’éteindre. 252 copies de la même phrase, celle qu’Hélène avait écrite avant de s’enfuir :

Tous libres, tous égaux, tous lecteurs !

30 réflexions au sujet de « Les Autodafeurs – Marine Carteron »

  1. L’enthousiasme est général autour de ces titres. Ton avis comptant souvent un peu plus que les autres, j’ai envie de te suivre les yeux fermés (même si ces couvertures, quand même, ne sont pas jojo je trouve…).

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    1. Tu as raison, les couvertures n’ont pas été faites par Jojo mais par l’agence de super photographes Barrere et Simon 🙂
      Si tu veux tu peux aller voir leur travail ils ont un super site.
      Et n’hésite pas à me donner le site de Jojo, que j’aille voir ce qu’il fait comme photos.
      Césarine Mars

      PS ; quand tu liras notre histoire ouvre tout de même les yeux, tu verras que, pour lire, c’est tout de même plus facile.

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      1. Elles pourraient être de Doisneau ou de Cartier-Bresson, je persisterais à ne pas les trouver jojo. Certes, une agence de super photographes, c’est un argument et une référence imparables pour l’on s’extasie devant ces chefs-d’oeuvre, j’en conviens, mais ce n’est pas pour autant que je changerais d’avis.

        Ma petite Césarine, on ne part pas du bon pied toi et moi et ça me plait, j’ai d’autant plus envie de découvrir tes aventures (les yeux ouverts ou fermés, j’espère que tu me laisseras au moins cette liberté).

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      2. Césarine, Jérôme…
        Jérôme, Césarine…
        Les présentations sont faites. 😉
        Maintenant, il va falloir tourner quelques pages pour que la rencontre se poursuive. Belle lecture à toi Jérôme.

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    1. C’était avec ma classe de 4e C(houpi) et quand Hélène m’a proposé ce petit projet, je ne pouvais que la suivre… Nous avons passé un merveilleux moment avec eux. De vrais (futurs) propagateurs en puissance.

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      1. Je lui dirai, elle sera ravie.

        Yep yep, quand je reviens chez mes parents dans leur lointaine contrée isarienne… Pas loin d’une ville dont le nom commence par un C, qui abrite plein de chevaux et un palais impérial (la deuxième ville du département)

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