
Il y a des choses qu’on ne peut pas regarder disparaître sans prendre le risque de disparaître aussi.
Elle s’appelle Nour et chacun de ses mots trouvera un écho silencieux dans les gestes de Youmna qui a laissé sa voix au vent et qui signe pour dire ce que sa gorge tait. Une grande complicité s’est depuis longtemps scellée entre elles (Youmna a tout d’une mère pour Nour) et cet équilibre précaire va se trouver bouleversé par le départ redouté de Nour. Une nuit, elle apprend qu’il est temps de partir, là où l’éducation et la sérénité ont droit de cité, là où la vie qui l’attend est suffisamment digne d’être vécue, à n’importe quel prix. Après un adieu sans mot, les regards s’éloignent à mesure que le chemin parcouru grandit. Nour ne reverra jamais Youmna.
Je n’ai ni le cœur, ni les mots pour te dire ce qu’il arrive parfois aux filles. Ce ne sont pas toujours des histoires d’enfants qu’il arrive aux enfants.
Un long voyage commence, durant lequel Nour n’est plus la jeune fille qu’elle laisse derrière elle. Devenue « garçon » le temps d’un trajet sans paysage, elle se laisse porter par ces hommes chargés du voyage vers cet inconnu plein de promesses. Elle emportera quelques affaires la reliant à son passé, et gardera en elle cette nostalgie tendre et amère des instants passés avec Youmna. Et puis il y a ce petit coffre qu’elle ne devra ouvrir que le jour où elle sentira que l’adolescente qu’elle était est désormais devenue une femme. Elle saura, elle aura conscience qu’il s’agit du « bon moment ». La traversée de Nour ne se fera pas sans frayeur ni angoisse, sans question qui tourmente, sans inquiétude ni incertitude. Elle suit ce mouvement vers l’ailleurs sans même vraiment savoir si ce qui l’attend lui apportera ce qu’elle attend.
Le premier jour de ma vie de femme fut une nuit.
Voilà un livre que j’ai pourtant failli abandonner dès les premières pages. Lire du théâtre n’a pas toujours la force ni la puissance émotive que l’on peut ressentir lors de la représentation. Et pourtant… D’abord « perturbée » par les jeux d’échos (les répliques des personnages doublées par la traduction en langue des signes) et de répétitions, j’ai fini par me laisser prendre au jeu de cette traversée qui s’écrit au fil des errances du personnage. Ce récit de voyage gorgé d’implicite retrace avec beaucoup de poésie et de subtilité, la dureté d’un parcours pour lequel il y a tant de candidats pour si peu d’élus qui atteindront leur but.
Estelle Savasta, derrière sa plume concise, laisse sa pièce devenir doucement un monologue d’une sensibilité et d’une beauté incroyable et ce en très peu de pages. Un texte d’une grande intensité qui nous offre finalement une double traversée. Celle d’un voyage dur et mouvementé, mais aussi celle qui lie le monde de l’adolescence et celui de l’âge adulte, avec, sous-jacente, la question de la quête identitaire. Un monde où il devient primordial de se (re)construire , d’exister, d’être encore une femme « d’ailleurs », mais aussi une femme « d’ici » en devenir, riche de ces mille vies et visages qui l’ont lentement conduite sur l’autre rive. Une belle surprise.
Dans la même veine, le souffle poétique en moins : La Traversée de Jean-Christophe Tixier.
La Traversée Estelle Savasta
ISBN : 978 2 211 21250 2
63 pages / 6,50
Un bien joli billet! Cette fois-ci, cette idée de lecture ne s’ajoutera pas à ma liste qui s’allonge de jour en jour, mais tu en parles drôlement bien.
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Ah ces PAL surchargées… Qui sait, tu y reviendras peut-être lorsque ta PAL diminuera.
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Je crois que j’adorerais le lire 😉
(tu savais que Nour veut dire « lumière » en arabe ?)
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Je l’ai su en lisant une BD sur la même thématique. Et puis, cela me rappelle le Nour de Mélanie Rutten alors tu penses bien que ça illumine aussi ma journée.
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Je passe pour cette fois-ci… Je n’aime pas plus que ça lire du théâtre malgré 7 années sur les planches !
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Libre à toi. Mais tu passes à côté d’un très joli texte qui a parfois les résonances d’un Benameur.
Tu joues encore sinon ?
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Tu sais me prendre par les sentiments en évoquant Benameur ! 😉 Non j’ai arrêté il y a quelques années…
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Je n’ai pas lu de théâtre depuis très longtemps, mais ta chronique m’interpelle beaucoup!
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