BD de la semaine·Neuvième art

Emmett Till – Derniers jours d’une courte vie – Arnaud Floc’h

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Emmett Till a quatorze ans et ne fêtera jamais son quinzième anniversaire.
Emmett Till a quatorze ans et ne soupçonne pas une seconde l’immensité de la cruauté des hommes.

Et pourtant, les cris n’ont réveillé personne. Comme si les capsules de coton servaient aussi à se boucher les oreilles.

Emmett Till a la peau sombre et cela semble suffire à ces ordures au teint clair pour décréter leur supériorité sur cet adolescent trop audacieux qui n’a rien demandé de plus que quelques friandises… La tolérance n’a pas droit de cité dans cette Amérique-là et il n’est pas bon de vouloir  se faire une place là où d’autres ont décidé que vous ne méritiez même pas le statut d’homme. Je tairai volontiers le reste de l’histoire. Pour qu’à votre tour, vous ressentiez comme moi, chaque mot, chaque pas qui conduit vers l’horreur. L’horreur du crime, certes, mais celui de l’après. Du procès bâclé, des droits bafoués. On ne juge pas deux fois pour un même crime mais l’injustice s’octroie le droit de donner une seconde fois la mort en épargnant insolemment les coupables. Que voulez-vous…

… Les lois du sud ne condamnent jamais un blanc.

Ce récit, conté au fil des bulles dans la plus grande sobriété n’a hélas, rien d’une fiction. A travers un jeu de va-et-vient entre le passé et le présent, l’histoire raconte l’Histoire et impose sa terrifiante vérité. Arnaud Floc’h signe ainsi avec cet album un titre qui a tout d’un coup de cœur glaçant. Si le nom de Rosa Parks a su marquer nos esprits, celui d’Emmett Till m’était en revanche totalement inconnu et c’est tout un pan de cette sordide Amérique qui s’est déployé au fil des pages sous mes yeux de lectrice indignée, effarée, dévastée face à l’incommensurable atrocité de ces êtres d’une bêtise nauséabonde. A cela s’ajoute ce profond sentiment d’impuissance face à un système judiciaire qui ne protège pas les véritables victimes. À l’intérieur, nous étouffons, pris à la gorge par une rage mêlée de colère et de frustration tant la situation nous révolte et nous dépasse.

Oh non, personne ne pourra jamais dire ce qui s’est réellement passé cette nuit-là.

Pour servir cette histoire, un trait assez classique et éloigné de ce que je peux apprécier au premier coup d’œil en bande dessinée. Toutefois, il s’allie à merveille avec ce témoignage d’une autre époque (pourtant pas si lointaine) , nous transportant immédiatement dans cette Amérique ségrégationniste qui a tant fait parler d’elle. Les couleurs, recréent l’ambiance lumineuse et faussement douce et chaleureuse des journées passées à souffrir dans les champs de coton, la nuit noire et lourde des bayous où la mort rôde a quelque chose d’angoissant et les quelques éclats lumineux signalent juste la présence des hommes qui traquent leur proie, comme un divertissement de plus dans leur quotidien monotone. Moi qui ne partais pas conquise d’avance, j’ai su me laisser emporter par cette sobriété nuancée qui a finalement su me plaire.

En définitive, si la justice a échoué dans sa véritable mission et si la vie de ce jeune garçon a indéniablement été bien trop courte, Arnaud Floc’h parvient dans cet album à lui offrir à défaut d’un procès équitable, la plus belle des postérités qui soit. Certes, cela n’enlève rien aux douleurs, aux cris, aux actes gratuits. L’égo égratigné n’a pour seule réplique que la vengeance odieuse qui se paie au prix fort.
À nous désormais de faire passer ce livre entre toutes les mains pour que ce nom sorte définitivement de l’ombre de l’inqualifiable barbarie.

ll s’appelait Emmett Till et n’avait que quatorze ans.

Les chroniques de Noukette et Jérôme.

BD de la semaine Chez Stephie 18,5/20

Emmett Till – Derniers jours d’une courte vie Arnaud Floc’h
Couleurs : Christophe Bouchard
Éditions Sarbacane

ISBN: 9782848657714
19€50 / 80 pages / Avril 2015

 

62 réflexions au sujet de « Emmett Till – Derniers jours d’une courte vie – Arnaud Floc’h »

    1. Oh merci… J’avais un peu mis de côté le dessin tant l’histoire m’a happée. Du coup, j’ai ajouté quelques lignes et une planche.
      Bonne lecture. Et parles-en autour de toi. Autant que possible.

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  1. très joli billet, très fort, arf, ça me plait et m’angoisse un peu par les temps qui courent… vais aller y jeter un œil à la librairie ce matin … merci merci
    (et j’en profite pour t’embrasser ❤ )

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  2. J’ai découvert le nom d’Emmet Till en lisant « Le ring invisible » d’Alban Lefranc et cette histoire m’avait secouée. Je lirai cette BD

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