Neuvième art

Un Homme de joie – R.Hautière D.François

Vertiges new yorkais.

Ellis Island. Avalanche de bulles et de mots que l’on mitraille à tout va sans même laisser un instant de répit. Quelques réponses succinctes, comme autant de clés à fournir avant l’obtention tant espérée de ce sésame si convoité. « Vous êtes le bienvenu en Amérique. » Avec à peine 50 dollars en poche, Sacha, laisse l’Ukraine derrière lui et arrive enfin dans cette « ville monstre » qui se nourrit de grandeur et n’a d’autre ambition que de flirter avec le ciel. Les premiers jours sont une conquête de chaque instant. Il faut savoir trouver sa place et faire son trou dans cet univers qui n’attendait pas après vous.

David François

Le jour, Sacha arpente les rues de la ville qui fourmillent d’hommes en quête d’une journée de travail salutaire. Le soir, il s’échappe de la foule qui grouille et quitte lentement les artères de la ville où quelques âmes en perdition font des rencontres peu fréquentables à l’abri des regards indiscrets.

Dans l’ombre ou la lumière, Sacha tisse ses premiers liens et ce héros impassible, droit et mystérieux découvre les dessous d’une ville en devenir, prête à vous égarer au cœur d’intrigues bien singulières… Chaque rencontre lui ouvrira les portes d’une cité aux mille visages, riche de personnalités aux passés incertains.

 » Peur ? Non. Il n’y a qu’une chose qui me fasse vraiment peur, tu sais ce que c’est ? ….
La solitude. »

Jeu de miroir.

Dans ce premier volet d’un diptyque qui s’annonce d’ores et déjà passionnant, Régis Hautière signe une fois de plus un scénario teinté d’histoire sur fond de chronique sociale qui vous happe dès les premières bulles. Sous les traits anguleux de Sacha, des centaines d’émigrés, portés par un espoir qui n’a aucune certitude d’être satisfait. Qu’ils aient l’apparence d’un poussin migrateur, qu’ils soient de jeunes insouciants prêts à s’engager dans le plus sombre des road trips, qu’ils fassent de l’Amérique fantasmée une terre promise, les héros de Régis Hautière ont tous cette envie viscérale de s’offrir des ailleurs insaisissables. Des parcours soldés d’échecs et de rencontres inoubliables. Ainsi, Sacha croisera dans ses errances des silhouettes énigmatiques qui laissent entendre que ce premier opus a tout d’une très belle promesse. L’équilibriste au cœur dévasté (aux traits très hardoquiens), le bon gros Gaston tatoué (clin d’œil à la plus belle BD du monde), les sœurs Magda et Léna (aux chignons trop tirés pour être honnêtes): autant de personnages qu’il me tarde de retrouver pour percer leurs secrets trop bien gardés.

Brumes nocturnes.

David François quant à lui crée avec brio une ambiance absolument unique pour ce récit américain. Les pavés inondés d’une journée pluvieuse, le brouillard bleuté d’une nuit qui masque les délits, la lumière éblouissante du ciel new-yorkais taquiné par les ouvriers du bâtiment: tous les éléments fusionnent, merveilleusement orchestrés pour un tableau aussi fascinant que vertigineux. Le trait vaporeux de l’artiste (reconnaissable au premier coup d’œil), mêlé à la sombre encre de chine donne une sensualité étonnante à cette ville à l’architecture majestueuse. Le tout rehaussé ou nuancé en toute subtilité avec une palette de couleurs qui s’accordent à merveille avec chaque atmosphère. Que l’on perde pied, étourdis par un vertige sur les hauteurs de la ville, que l’on inspire à pleins poumons les volutes de fumée des bars clandestins où l’on s’encanaille volontiers avec les catins,  que l’on s’égare sous les tissus de velours et les jupes retroussées, le New York de David François, pris au piège dans le carcan de la prohibition, a définitivement quelque chose d’hypnotique et de ténébreux. Autant dire que je suis totalement conquise.

Les billets de Mo’, Noukette, Jérôme et Yvan.

BD de la semaine Chez Yaneck 18,5/20
BD de la semaine Chez Yaneck 18,5/20

Un Homme de joie – 1.La Ville monstre –

Régis Hautière & David François

Casterman

ISBN: 978 2 203 07417 0

54 p / 13€95

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