Neuvième art

Le Voyage d’Abel – Belvent & Duhamel

Coup de cœur 2015

Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages: que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche. Montaigne

Sur l’étagère en bois, des ailleurs qui prennent la poussière. Devant la porte d’entrée, une valise qui annonce un départ. Une destination des plus exotiques pour Abel qui vit depuis des années dans sa campagne.

Reclesme ensommeillée.

Abel, c’est un de ces jolis vieux un poil taciturne, doux rêveur, piqué par cette nostalgie dont seuls les vieux briscards ont le secret. Abel rêve de contrées lointaines (comme un très lointain cousin né sous la plume d’Hautière et le crayon de Dillies. ) Abel a également la gouaille de nos compères bougons et  râleurs Des Vieux fourneaux, un peu plus résigné qu’eux peut-être. Son quotidien se joue au rythme lent des bonnes vieilles habitudes: le tic tac d’un réveil qui sonne à une heure matinale, le craquement d’un vieux plancher de bois, le bruit de l’eau qui frémit dans une casserole en cuivre, le pain qui croustille sous la dent, le volet ou la porte qui grince avant la première rencontre avec l’aube brumeuse. Les jours se suivent et se ressemblent à Reclesme: après les tâches matinales auprès de son chien fidèle, Abel croise les mêmes visages, les mêmes voix sur cette place où tout le monde se connaît… La jolie charcutière, qui lui rappelle tant cet amour passé qu’il a toujours préféré taire, les vieux camarades du café avec qui il est toujours plus doux de refaire le monde autour d’un verre ballon qui ne se vide jamais de son petit rouge… Sur les pavés, cette foule familière qu’il s’apprête pourtant à quitter.

Les saisons passent. L’automne et ses tracteurs qui retournent le sol humide cèdent la place aux flocons de l’hiver qui enrobent Reclesme en attendant de fondre avec la douceur du printemps. A peine le temps de s’apercevoir que d’autres sillons se creusent sur le visage d’Abel. Oui, la vieillesse s’attrape, elle aussi, sans crier gare.

Le Voyage d'Abel - Duhamel et BelventLe voyage d’Abel est une douce rengaine du quotidien, rassurante et apaisante, à l’image de ces comptines que l’on se chante pour s’offrir un peu de sérénité. Éloge du voyage pour mieux surmonter la routine, cet album pose aussi la question de ce qu’on laisse derrière nous de non-dits, de regrets, d’inachevé ou d’inassouvi quand vient l’heure des bilans. Il rappelle aussi combien la liberté peut avoir mille visages et s’offrir de mille manières.

Comme il est bon de lire un titre comme celui-ci. Voilà une histoire, douce comme du coton, signée Lisa Belvent, dans laquelle il fut incroyablement beau de me plonger. Duhamel quant à lui nous enrobe d’un jeu subtil de couleurs pastel qui sert à merveille ce récit lumineux de simplicité. La campagne, prison de verdure, est riche de ces petits détails qui fourmillent ici et là et donnent à Reclesme un charme désuet. Une BD miroir de ces âges où l’on a envie de prendre plus que jamais le temps de regarder devant soi, de s’accorder encore et toujours le temps de vivre.

Vous avez raison de rêver Abel, il faut toujours garder un rêve à soi.

Les bulles du lundi m’ont permis de dénicher ce merveilleux titre qui, sans Pascal, n’aurait probablement jamais fini entre mes mains. Une BD qui trouvera incontestablement sa place dans mes coups de coeur 2015 et que je vous encourage plus que vivement à lire. Peu présente en librairie, vous pourrez vous la procurer directement ici et soutenir ainsi le projet des éditions Les Amaranthes.

BD de la semaine Chez Yaneck 19/20
BD de la semaine
Chez Yaneck
19/20 

Le Voyage d’Abel Belvent & Duhamel

Les Amaranthes

ISBN: 979 10 94137 00 0

65 pages /18€

 

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