Et mon coeur fait boum·Neuvième art

Un homme est mort Kris et Davodeau.

Il y a des mots qui font vivre et ce sont des mots innocents. Eluard

1871. Guerre de Prusse. Il a deux trous rouges au côté droit. Rimbaud achève son sublime Dormeur du Val.

1950. Jour de grève. C’est avec un trou rouge au milieu du crâne que s’effondre le jeune Edouard Mazé alors qu’il manifeste son mécontentement en plein cœur des révoltes ouvrières brestoises.

Un Homme est mort est le récit d’un tournage, la genèse d’un film qui n’aura qu’une vie brève mais ô combien puissante et chargée d’émotions. La ville de Brest est en pleine reconstruction après les ravages de la guerre et doit vite renaître de ses ruines. Au même moment, les mouvements sociaux ouvriers commencent à vouloir faire entendre leur voix et la répression policière fait rage, dans une violence assez inouïe. Un jeune réalisateur engagé, René Vautier, militant de gauche, ayant peu d’affinités avec les hommes en képi , grand voyageur de surcroît, vient à la demande d’un de ses camarades de la CGT tourner un petit film sur cette effervescence ouvrière. Il s’immisce alors dans ce milieu très masculin: il saisit ces vies et ces cris de révolte, capte les temps forts et les revendications de ces hommes qui ont besoin qu’on les écoute et qu’on leur accorde un peu plus de considération. Il se fond alors au milieu de la foule en colère, devient l’œil discret, attentif et bienveillant qui capture dans sa petite caméra de fortune chaque instant passé auprès de ces ouvriers qui se sentent trop souvent négligés et méprisés. En toute sobriété, il se glisse mi-caméléon, mi-souris dans les boyaux écorchés vifs de la société brestoise et immortalise une page de l’histoire de la ville, toile de fond d’une belle histoire d’Hommes.

J’ai une idée ! C’est pas ici ou dans un cinéma qu’il faut le passer. C’est toutes les nuits sur tous les chantiers en grève.

Comme elle vous happe cette couverture rouge ornée d’imposants caractères sombres… Chronique sociale et engagée, cette BD est le plus beau des écrins pour dire la force de l’engagement et la nécessité de mener avec ferveur ces grands combats qui rythment nos petites vies avides de liberté.  Quel beau portrait du monde ouvrier et à plus grande échelle quels beaux portraits d’Hommes. Nous accompagnons ces héros ordinaires, déambulons auprès d’eux, suivant les pas de René Vautier, et nous regardons, émerveillés et émus aux larmes le film projeté sur les murs blancs de la ville. Les mêmes frissons nous parcourent lorsque les mots d’Eluard, comme un refrain aigre-doux, viennent raisonner à chaque projection. Cette petite histoire en devient grandiose, portée par cette humanité lumineuse sous les traits de Davodeau et sous la toujours-très-jolie plume de Kris.

2015: Un grand homme est mort. René Vautier n’est plus et avec lui s’envole une part de cette histoire. Avec nous demeurent ces pages, ces mots ainsi que cette force que seuls les grands hommes savent insuffler en chacun de nous. Chapeau bas Monsieur Vautier. En ces jours tristes, il m’a semblé important de relire ce très bel album qui offre à l’œuvre de René Vautier le plus beau des hommages et lui assure une pérennité inespérée en la sauvant de l’oubli.

Le site de l’Ina: une interview de Davodeau.

Hommage à René Vautier : France culture.

BD de la semaine Chez Yaneck

29 réflexions au sujet de « Un homme est mort Kris et Davodeau. »

Laisser un commentaire