Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Joë – Guillaume de Fonclare.

« Dans cette chambre obscure, Joe devient Joë, et l’invalide un écrivain. »

C’est le troisième livre de Guillaume de Fonclare. C’est le troisième livre que je lis mais seulement le premier que je chronique. Peut-être parce que chaque ouvrage me bouleverse et que chacun de ses livres vient heurter de plein fouet ma sensibilité de lectrice, me laissant parfois sans mot immédiat, sans voix face à des écrits toujours plus saisissants. Je me sens un peu « madame Chombier », entre admiration profonde pour l’écrivain et discrétion pudique face à cet homme qu’il m’est pourtant souvent arrivé de croiser.

C’était cela votre liberté, ce pour quoi vous étiez prêt à vous battre, la liberté de jouir de la vie, comme vous le vouliez. Vous, le survivant à votre propre naissance, vous saviez que la vie n’avait pas de prix, et que, dans l’instant, un trébuchement pouvait vous fracasser le crâne sur le sol. Alors vous n’avez choisi d’en faire qu’à votre tête, dans l’irrespect de tout, si ce n’est de vous-même et de vos propres convictions qui ne tenaient rien de la morale ou de l’opinion publique. Et puis voilà que le destin vous prive d’une bonne partie de votre corps, ne vous laissant qu’une paire de bras et une tête confuse, confite de regrets un jour, pleine d’espoirs un autre, n’ayant de cesse de bourdonner d’interrogations. Invalide, handicapé, mis dans un fauteuil pour sortir au soleil, à votre tour d’être mordu, vos journées s’écoulent de plainte en plainte, d’épreuve en épreuve, vous redoutez celles qui reviennent de jour en jour.

Joë Bousquet est un funambule de guerre. Sur le champ de bataille, il avance alerte et fier, un pied dans le vide, où la mort le guette en attendant sa chute, et un pied sur ce fil invisible, comme une fragile promesse qui l’attache à la vie. Quelques secondes, puis tout bascule. L’homme s’écroule et se voit religieusement enveloppé par ses hommes dans un drap blanc qui ne sera pourtant pas celui des défunts. C’est à lui que s’adresse Guillaume de Fonclare. Le vouvoiement est de mise et le lecteur s’immisce dans cet envoûtant dialogue impossible entre deux hommes qu’un siècle sépare. Une fraternité qui dépasse l’union de papier tant ces vies s’entremêlent. Quand l’un se voit brisé par la guerre et cloué au lit, l’autre sent son corps devenir le plus contraignant des carcans, insidieusement rongé par cette maladie qui, sournoise, impose sa loi paralysante. Parti sur les traces de cet auteur dont il dévore les oeuvres exigeantes,  Guillaume de Fonclare commence un pèlerinage littéraire, dans les pas de cette figure qui le fascine tant. Sur cette route, le lecteur assiste à la fusion fantastique des corps meurtris qui ont tous les deux fait le choix de la vie face à la douleur: l’histoire épouse l’Histoire, la plume devient crosse, le fauteuil disparaît au profit d’un recoin de terre où se recroqueviller pendant la bataille. L’émotion est palpable, omniprésente et votre corps se rappelle à vous lorsque votre gorge, lentement, se serre puis se noue.

Alors, j’ai préféré demeurer du bon côté de la frontière, là où l’idée de vous demeure maîtrisable et où vous n’envahissez pas trop ma vie.

Toutefois, si Joë Bousquet est le sujet même de ce récit biographique, nous croisons les visages et les silhouettes de fantômes du passé auxquels Guillaume de Fonclare redonne vie. C’est d’abord un portrait incroyable qu’il dresse de Louis Houdard, c’est aussi une histoire d’amitié au destin improbable qui se tisse entre Max Ernst et Joë au fil des lignes. Que dire enfin, des passages couchés sur le papier, dévoilant entre pudeur et sensualité ces instants volés, ces bribes de vies partagées avec ces femmes qui ont compté dans la vie du poète. Marthe, Germaine, Ginette, Alice: autant de prénoms, de corps et d’étreintes semés sur ces pages d’amour d’une beauté indicible.

Vous éprouvez à nouveau le plaisir d’étreindre un corps, de caresser une peau, de savourer le goût du frisson. Et cette fusion des êtres dans l’embrasement des corps, c’est un court instant l’illusion de l’éternité (…) Car peu importe la manière dont l’amour s’incarne, et peu importe l’altérité sexuelle; il n’y a pas d’hétéro ou d’homosexualité, il n’y a que des êtres qui s’aiment et qui éprouvent cet amour dans leur chair, intensivement vivant.

Je ne suis pas une lectrice de biographie et je ne connaissais pas Joë Bousquet avant cette lecture mais inévitablement, ses livres arriveront bientôt sur mes étagères. La force des mots de ce texte brillant ne peut qu’éveiller chez le lecteur cette envie quasi viscérale de lire ce poète immobile. Il est incontestable que Guillaume de Fonclare offre bien plus à ce genre en liant ce récit de vie à la sienne. A travers ce texte grandiose d’une beauté troublante, il (d)écrit, pas à pas, le destin d’un homme qui « entrera en littérature » comme on entre avec ferveur en religion, vouant aux mots un culte sacré. Joë doit alors trouver sa place, entre la solitude de l’homme qui s’enferme dans cette chambre sombre devenue le théâtre intime de l’écrivain et l’effervescence de cette vie qui le conduit à côtoyer les grands artistes de son temps. Au-delà du parcours de Joë, c’est aussi son propre « chemin de croix » que nous livre Guillaume de Fonclare. Le temps s’écoule alors, entre deux guerres, au rythme des mots qui s’échappent, à travers la magie insaisissable de sa plume. Et malgré ce carcan paralysant surgit plus que jamais la vie qu’on se doit de saisir à chaque instant. Avant tout, malgré tout, plus que tout. Un cheminement littéraire, durant lequel l’homme de « l’être » qui disait si bien la douleur des corps dans le sublime Dans ma peau a indéniablement confirmé son statut d’homme de lettres de talent.

Pour vos oreilles, évidemment, Chopin. Nocturne for Piano, No. 1 in B flat minor, Op. 9,1

Un billet qui s’ajoute au défi Une année en 14 de Stephie. Le billet d’Aifelle, comme moi, conquise. (Et comment ne pas l’être ?)

Le centre Joë Bousquet.

Joë Guillaume de Fonclare

Éditions Stock

ISBN: 978 2 234 07720 1

14€ / 142 pages

24 réflexions au sujet de « Joë – Guillaume de Fonclare. »

  1. Comme toi, à chaque fois que je termine un livre de G. de Fonclare, je me dis que je ne saurai pas faire un billet dessus. Je finis par le faire parce qu’il mérite d’être davantage lu, mais j’ai le sentiment d’être très très en-dessous de ce qu’il faudrait exprimer. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. Le principal est de donner envie de le découvrir à un maximum de lecteurs.Je viens de regarder la Grande Librairie et j’ai noté « lettres à Poisson d’Or » qu’il conseille pour aborder Joë Bousquet.

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    1. Je te rejoins complètement. J’ai envie même envie de relire ses deux premiers livres et d’en parler, c’est dire…. Pour Joë, je vais commander « Lettres à un Poisson d’or », « Un amour couleur de thé » et « Traduit du silence » pour commencer.Il me tarde de lire ces titres.

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  2. Bonjour,
    J’aimerai que vous me donniez votre avis sur mon manuscrit ebook intitulé « TRAQUE FINE » de R.S JONES dont vous pourrez lire librement les premiers chapitres sur : Amazon.com. La réalité dépasse la fiction
    Histoire vécue.

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  3. Un avis plus réservé en ce qui me concerne, mais néanmoins l’envie de découvrir plus avant cet auteur qui prend le temps de lire et d’entendre ce que ses lecteurs ont à dire… et c’est très délicat de sa part.

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