Nous n’en avons pas fini tous les deux.
Elle nous tourne le dos, le chignon sévère, ne laissant place à aucune mèche un peu folle en éprise de liberté. Les mains d’un autre laissent planer le doute. Est-ce la peau qu’on tend puis écarte pour aller voir au-delà des entrailles ou ces mains délicates viennent-elles refermer les chairs à vif, masquant la colonne vertébrale, cette ligne d’os qui craquent mais qui assure une posture altière, pour un dernier sursaut d’orgueil ? Est-ce une souris de laboratoire qu’on dissèque pour mieux la comprendre ? Est-ce une femme dont on recoud les blessures ? Et n’y aurait-il pas un piège ? Peut-on se fier à cette angélique beauté lumineuse et à ses contours éblouissants comme cousus au fil d’or ?
« Ceux que nous décidons d’aimer, nous ne les regardons pas, nous les reconnaissons. Nous apercevons en eux des signes que nous identifions et dont la familiarité nous attire. Nous partons de détails que nous souhaitons voir et nous construisons une chimère kaléidoscopique. Le reste nous l’occultons.«
Dans un Angoulême familier, Xavier prend ses marques dans le monde du dessin et de l’animation (Il travaille sur ce petit film qui deviendra le « grand » Kirikou). Quelques projets, un cercle d’amis avec qui il partage les mêmes élans et émois artistiques. Des femmes, des cœurs qui battent, des adieux, des aventures… Jusqu’à l’arrivée de Sylvia, ce petit monde tourne comme il peut…
Dès le départ, la jeune femme n’est pas la bienvenue. Son lunatisme et son franc parler dérangent et le malaise s’installe. Elle se rapproche de Xavier et leur histoire se veut extrêmement complexe et ce, dès son premier souffle. Sylvia porte en elle un passé tourmenté, un amour fantôme, et un mal-être chronique qui conduisent Xavier à jouer les hommes présents, avenants et protecteurs. Ce qui les unit a ce quelque chose d’impalpable et les remparts d’Angoulême se referment lentement et inconsciemment sur ces deux êtres un peu paumés qui s’isolent. Dépendance, rejet, fougue, désir contenu: dans leur royaume règne la confusion des sentiments. Leur histoire peine à exister et les seuls instants d’équilibre et d’apaisement ont quelque chose de précaire. Au milieu de ce marasme amoureux, Xavier s’oublie. L’emprise de l’autre est trop forte et le risque de se perdre à jamais en devient presque trop tentant.
» Je ne savais pas la nature complexe de mes sentiments pour elle […] ça sortait de partout sa colère, la solitude […]Et qu’importe, elle avait le droit de faire mal jusqu’à ce qu’elle finisse par apprendre autre chose. Je la regardais plier ses habits, fumer ses cigarettes. Son petit monde de bannie tenait dans quelques cartons.«
Dans un savant jeu de contrastes, le dessin évolue et se fait le miroir parfait de cette histoire chaotique. Le trait, un peu taquin, un tantinet fantôme, disparaît, empêchant les visages de se figer, rendant le souvenir trop flou. Parfois, c’est une silhouette opaque qui prend la place des êtres et un autre langage se crée : l’oubli naît dans les silences, les gestes, les ombres… Un peu de folie et un imaginaire fantasque entrent également dans la danse. Lewis Carroll n’est pas bien loin et d’autres grands noms se mêlent à l’histoire, en toute discrétion.
« J’ai refermé le couvercle sur une année dont chaque mois me semble aujourd’hui aussi saturé qu’une vie entière«
C’est un projet ambitieux que ces 247 planches. Après le succès des prestigieuses BD autobiographiques Persepolis ou Maus, voilà que Xavier Mussat se livre et nous livre ses entrailles dans un très bel écrin. Un livre qu’il aura mis plus de dix ans à mettre en images et en mots, et qui a tout d’une thérapie, parcours nécessaire pour sortir de ce qu’il qualifie dès les premières bulles de relation toxique… Parfois, le récit peut sembler déroutant tant cet album est bavard. Mais que voulez-vous… Il faut comprendre, puis dire et ne négliger aucun détail dans ce long processus introspectif de douloureux détachement, de rupture. Une œuvre d’une richesse complexe. Xavier Mussat fait d’ailleurs preuve d’une belle audace dans le mélange des traits et des styles. Au fil des pages, le dessin et la création en deviennent même salutaires tant c’est aussi un artiste qui s’affirme et s’émancipe que l’on découvre en filigrane. L’histoire d’amour doit ensuite s’extraire de lui comme un corps désormais étranger. Le papier recevra et boira les maux, tandis que l’artiste – fort de son imaginaire teinté de figures cauchemardesques – tuera l’odieux démon tyrannique de son pinceau.
Et je pars délesté comme on choisit de se taire.
Carnation Xavier Mussat
ISBN : 2203087765
252 p / 25 euros
Très inspiré le premier paragraphe sur la couverture. Moi aussi j’ai essayé d’en comprendre le sens mais sans l’avoir lu, c’est impossible. Je m’empresse de noter ce titre, il m’intrigue.
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« Ceux que nous décidons d’aimer, nous les reconnaissons », c’est très beau et très vrai ! Car ce qui nous attire au premier abord chez une personne, ce sont ces précieux détails que l’on aime déjà sans la connaître, comme un écho mystérieux à notre propre âme.
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Spécial quand même, non ? Graphiquement je ne suis pas emballé. A voir en fait, j’essaierai de le trouver pour le feuilleter lors de ma prochaine virée amiénoise.
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J’ai été très intriguée par ce titre ce week-end lors du festival BD de Lyon… Il est noté et j’espère le lire bientôt !
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Je suis donc curieuse de lire ton avis chère Marion !
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J’avoue que je ne sais pas si je suis tentée ou non… Intriguée, ça oui. Il faudrait que j’y jette un œil quand même…!
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C’est une œuvre atypique et dense qui mérite qu’on s’y attarde…
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Oh, bof pour aujourd’hui.
Cela me semble complexe et trop riche pour une BD.
Je feuilletterai quand même par curiosité.
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La BD devrait se réduire à la simplicité et/ou la facilité ?
Je trouve ça audacieux et le pari est plutôt réussi. Feuillette-la à l’occasion. Vraiment. 😉
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Ca tente bien cette histoire, au moins par curiostié.
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Il faut savoir céder à la curiosité !
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