David Thomas ne va pas nous raconter d’interminables histoires puisqu’il prend le chemin de l’écriture fragmentaire. Pas de roman fleuve, ni de roman choral mais une écriture de l’instant, comme autant de petites photos prises sur le vif, qu’on étalerait sur le plancher qui craque d’un vieil appartement et qu’on observerait avec tendresse ou nostalgie.
« J »avais revécu pendant mon sommeil tous ces moments qui vous bâtissent une histoire et la scarifient en vous à jamais ».
65 textes à travers lesquels l’art de la concision se met au service de l’émotion. Oui, sois vigilant, fais attention lecteur, car voilà un titre un poil fourbe et menteur. Si les petites scènes qui constituent ce livre n’ont rien d’un roman, ce sont bel et bien des histoires qu’on te contera malgré tout… Des histoires d’amour, des histoires nostalgiques, des constats amers, des regrets encore douloureux, des anecdotes savoureuses, des souvenirs de fantômes, des vies fragiles, des souffles coupés, des mots retenus, des odes à l’oubli. Les êtres en lumière y sont saisissants de fragilité, étonnants de douceur et sont souvent les miroirs de nos vies. Parfois nous serrons les dents, conscients d’être un peu de ces écorchés-là. L’instant d’après, on sourit, reconnaissant entre les lignes ces proches un peu malmenés par la vie.
D’une plume fine et drôle, David Thomas a réussi une jolie prouesse et a su donner à la brièveté une singulière densité et une charge émotionnelle incroyable. Le livre se dévore et appelle à des relectures, histoire de retrouver de temps à autre un de ces petits récits saisissants et criants de vérité. L’art délicat de la chute contribue sans conteste au plaisir de lecture et les liens qui unissent ou séparent les êtres sont souvent dit avec ce qu’il faut d’élégance et de légèreté. Les récits sont sans concession et les faiblesses ne craignent ni le ridicule ni le pathétique. Que l’humour sauve ce qu’il reste à sauver puisque « ce livre d’un charme fou ne pourra que séduire ceux qui préfèrent le rire aux larmes. » De la morne solitude au plaisir d’être ensemble, des élans de la passion à l’inanité des sentiments, il est souvent question de notre rapport à l’amour, l’amant, la famille, l’ami, l’inconnu. Un livre qui parle si bien des gens et de la part de tendre (in)humanité qui sommeille en chacun de nous et qui nous laisse, une fois refermé, face à bien des interrogations qui rythment nos vies. Sous le charme je suis.
M’embrasser la première.
J’ai dû embrasser une soixantaine de femmes dans ma vie. Eh bien je crois que, sur soixante fois, ça n’a dû arriver qu’une fois ou deux que ce soit la femme qui prenne l’initiative de m’embrasser. Une fois ou deux sur soixante, franchement, c’est pas beaucoup. Aujourd’hui, j’aimerais bien que ce soit elle qui décide de m’embrasser. J’en ai marre d’avoir à faire ça moi-même, d’avoir à choisir le meilleur moment, d’avoir à m’avancer en la regardant dans les yeux, à approcher mon visage du sien, à poser mes lèvres sur les siennes en prenant tout son corps entre mes bras. J’aimerais que ce soit elle qui fasse tout ça. Pour une fois, j’aimerais être le spectateur, celui qui voit les choses venir à lui. J’en ai marre de faire le premier pas. Avec celle-là je le ferai pas, je me suis juré que je le ferai pas. C’est pas faute d’avoir envie, une envie à donner des coups de pied, mais je bougerai pas. Cette fois, je bougerai pas. Je sais. Je peux toujours attendre. L’éternité même.
Pilote automatique
Les enfants sont grands, la maison est payée, les objectifs sont atteints et les échecs digérés, on sait qu’on ne peut rien pour qui que ce soit, et que, pour ceux qui en ont besoin, il suffit d’être là de temps en temps et de prêter l’oreille. On sait que tout recommence et que rien ne s’achève vraiment, on sait qu’il est plus efficace de se taire que d’essayer de convaincre, qu’il faut laisser aller ceux qui s’en vont, laisser parler ceux qui ont à dire, que le monde se transforme sans nous et que l’on ne changera rien ni personne. On ne ferme pas vraiment sa porte, mais elle n’est pas grande ouverte non plus, entrebâillée, pour signifier qu’il ne faut pas déranger, que seuls les vieux amis sont invités à la pousser, ceux avec qui il se dit autant de choses dans le silence que dans le bavardage. On se préserve des ennuis parce qu’ils ensablent de plus en plus les rouages de l’existence, alors, on les évite, on entreprend de moins en moins pour ne pas tenter le diable. On met entre les autres et soi une distance de sécurité, pas trop près, jamais plus trop près. Après avoir tiré, mené, contrôlé, orienté, maîtrisé, tenu et contenu sa vie pendant quatre-vingts ans, vient un moment où on veut juste se mettre en pilote automatique et se laisser porter à la surface de ce qui vous reste à vivre. Pas la peine de s’exciter, on arrivera tous au même port.
Je me manquerai
Dans le wagon de métro qui me ramène chez moi je ne pense qu’à une chose, un verre de vin. J’ai envie de m’étendre et de boire un verre en fumant une cigarette. J’ai besoin que mon cerveau se vide comme une baignoire. Peut-être sera-t-elle là. Peut-être que non? Depuis que nous avons pris cette décision, je ne sais jamais quand elle passera pendre ses affaires. Chaque fois que je rentre chez moi je m’attends à trouver des placards et des commodes vides. […] Tout me manquera. Cette vie à trois qui commençait à prendre un bon rythme et ce bonheur qui m’a effleuré les tempes pendant tout ce temps. Et elle. Et moi avec elle. Je me manquerai sans elle.
On ne va pas se raconter d’histoires de David Thomas Éditions Stock 14 € / 150 p / 2014 Coup de foudre – L’art du récit |
Très tentant! Les extraits me plaisent!
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Tu as la sensibilité pour apprécier ces jolies pages…
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Effectivement, cela pourrait me plaire…
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Tu me diras 😉
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Tu as raison de parler de son art de la chute ! Merci pour le lien !
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De rien ! Au plaisir !
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Je ne crois pas que ça puisse me plaire.
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Tu es libre de passer ton tour !
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Plus les uns et les autres vous en parlez (si bien) et plus vous donnez à lire de ces micro-textes, plus j’ai envie de m’y plonger à mon tour.
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a force d’en lire des avis positifs, je l’ai noté aussi!
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J’espère que tu apprécieras autant que moi !
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Je ne sais pas si je le lirai, mais j’adore la photo du bandeau !
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Il faut que tu le lises ! Vraiment !
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le titre me plait, ta chronique donne très envie, hop je me le note ! merci
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Bonne lecture mademoiselle Laurie !
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Tu sais quoi…? Je l’ai déjà lu deux fois… et il y en aura d’autres !
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Je comprends ! Il appelle tellement à la relecture !
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j’ai maintenant très hâte de m’y plonger…
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Vraiment un beau billet !
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Merci Syl. Le livre méritait bien cela ! 😉
J’ajoute ton lien dans la journée.
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Arrivée ici depuis chez Mo’, en passant par les blogs de Noukette, et de Jérôme. Vos avis sont tous si élogieux que je DOIS me procurer cet ouvrage et espère avoir autant de plaisir que vous à le lire. Bonne journée. Coline
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