Coup de théâtre !·Et mon coeur fait boum

Médée de Jean Anouilh

« Il n’est qu’un lieu, qu’une demeure où Médée se taira. »

Jason: Je t’ai aimée, Médée. J’ai aimé notre vie forcenée. J’ai aimé le crime et l’aventure avec toi. Et nos étreintes, nos sales luttes de chiffonniers, et cette entente de complices que nous retrouvions le soir, sur la paillasse, dans un coin de notre roulotte, après nos coups. J’ai aimé ton monde noir, ton audace, ta révolte, ta connivence avec l’horreur et la mort, ta rage de tout détruire. J’ai cru avec toi qu’il fallait toujours prendre et se battre et que tout était permis.

Avant tout, il faut savoir que j’aime Anouilh, follement. Et pourtant, je n’ai lu qu’un de ses titres, celui que tout le monde connaît. La lecture d’Antigone m’a bouleversée lorsqu’à 14 ans, Mademoiselle Grave, mon professeur de 3e nous a mis ce bijou entre les mains. Une de mes inoubliables rencontres avec la littérature. Un livre lu et relu une bonne quinzaine de fois. Il en sera je crois de même pour Médée. La même claque à la deuxième lecture…

Médée se dévore, avec voracité, pour y retrouver les sublimes mots d’Anouilh que j’ai tant aimés lorsque je les ai découverts. J’ai une fois de plus succombé au charme de son héroïne tragique excessive et en quête d’absolu, dans le constant refus de la demi-mesure. Quel talent ! Il n’est d’ailleurs pas simple pour moi de parler de cette œuvre qui fait tant écho à mon texte préféré (dans ses réflexions sur le bonheur notamment).

Ce texte est l’histoire d’une longue et lente rupture. Bien que séparée de Jason, Médée attend inlassablement son retour. Elle vit dans une roulotte avec leurs deux enfants et la nourrice. Toutefois, elle apprend que son grand amour Jason va épouser Créuse, la fille du roi Créon. En femme passionnée, aimante mais consciente d’avoir perdu l’homme pour qui elle a accompli de nombreux meurtres, Médée s’apprête à faire ses adieux à Jason. Elle demande à Créon un dernier moment auprès de lui. D’abord réticent, il finit par accepter. La mécanique tragique est lancée.

Dans cette pièce Anouilh décortique le sentiment amoureux et la passion. Amour destructeur, sentiments en perdition, adultère : voilà des thèmes qui parcourent l’œuvre. Il fait de Médée une femme folle amoureuse prête à accomplir le pire en toute cruauté et ce malgré les mises en garde raisonnées de la nourrice : « on tue pour un homme qui vous prend encore, pas pour un homme qu’on laisse sortir la nuit de son lit. » Et avec une force absolument incroyable, il fait de Médée une criminelle de toute beauté qui côtoie le sublime tant sa peine (pour ne pas dire son égo) est incommensurable. Un merveilleux hommage au personnage mythologique si sombre et sanguinaire. Un texte puissant comme Anouilh sait les écrire.

Médée : […] Tu continueras à y lire jusqu’au bout le visage de Médée !
Jason : Non, je l’oublierai.
Médée : Tu crois ? Tu iras boire dans d’autres yeux, sucer la vie sur d’autres bouches, prendre ton petit plaisir d’homme où tu pourras. Oh, tu en auras d’autres femmes, rassure-toi, tu en auras mille maintenant, toi qui n’en pouvais plus de n’en avoir qu’une. Tu n’en auras jamais assez pour chercher ce reflet dans leurs yeux, ce goût sur leurs lèvres, cette odeur de Médée sur elles.
Jason: Tout ce que je veux fuir !
Médée : Ta tête, ta sale tête d’homme peut le vouloir, tes mains déroutées chercheront malgré toi, dans l’ombre, sur ces corps étranges, la forme perdue de Médée! Ta tête te dira qu’elles sont mille fois plus jeunes ou plus belles. Alors ne ferme pas les yeux, Jason, ne te laisse pas une seconde aller. Tes mains obstinées chercheraient malgré toi leur place sur ta femme… Et tu auras beau en prendre, à la fin, qui me ressembleront, des Médées neuves dans ton lit de vieillard, quand la vraie Médée ne sera plus, quelque part, qu’un vieux sac de peau plein d’os, méconnaissable, il suffira d’une imperceptible épaisseur sur une hanche, d’un muscle plus court ou plus long, pour que tes mains de jeune homme, au bout de tes vieux bras, se souviennent encore et s’étonnent de ne pas la retrouver. Coupe tes mains, Jason, coupe tes mains tout de suite! Change de mains aussi si tu veux encore aimer.
Jason : Crois-tu que c’est pour chercher un autre amour que je te quitte? Crois-tu que c’est pour recommencer? Ce n’est plus seulement toi que je hais, c’est l’amour!

La chronique d’Antigone de Jean Anouilh.

Toutes mes chroniques consacrées à la figure mythologique de Médée dans la littérature.

 

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48 réflexions au sujet de « Médée de Jean Anouilh »

  1. J’ai vu ce challenge passer, mais je manque de temps pour me lancer… En revanche, moi qui n’ai lu qu' »Antigone », je serais curieuse de lire ce texte : les extraits que tu cites sont si troublants.

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  2. Oui, je fais faire ce challenge aussi et en 2014, il y a un challenge théâtre, donc je me fais une année « histoire du théâtre », en commençant par Eschyle, Sophocle, Sénèque pour janvier etc…
    Je note Médée de Anouilh

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  3. J’adore cette version de Médée. J’ai d’ailleurs prévu de la relire bientôt. Bienvenue dans le challenge, tu as tout ton temps puisque je n’ai pas mis de limite temporelle.

    Comme toi, j’ai été bouleversée par l’antigone d’Anouilh !

    Bises et bon dimanche

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  4. Comme lire des rencontres aussi passionnés avec une lecture ;0) Du coup je l’ai noté alors que je n’ai jamais Anouilh. J’ai la version d’Antigone d’Henry Bauchau, sans avoir encore trouvé le temps de le lire… Et toi, tu as lu cette version ?

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  5. « Antigone  » est un bijou à part dans mon parcours de lecrice. Comme toi, j’ai été profondément bouleversée par cette relecture étant ado! Et ce que tu dis de « Médée » me fascine, il faut que je le lise! Et les bd aussi!!!😉

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