L'Art du Roman·Les classiques c'est fantastique

Le Ventre de Paris – Émile Zola

Florent rentre du bagne. C’est un autre homme qui retrouve les pavés de Paris, témoins de son injuste arrestation lors du coup d’État de décembre 1851. La capitale est en pleine transformation et se développe au fil des grands travaux de restructuration évoqués longuement dans La Curée. Mais c’est au cœur des Halles de Paris, temple de la mangeaille et du commerce que vont se dérouler toutes les intrigues de ce troisième opus. Florent va y découvrir les luttes de pouvoir et d’intérêt qui opposent les Gras et les Maigres -car c’est autour de cette dichotomie que s’articulera tout le roman -et ralliera très vite le clan des maigres

Les Halles géantes, les nourritures débordantes et fortes, avaient hâté la crise. Elles lui semblaient la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l’empire. Elles mettaient autour de lui des gorges énormes, des reins monstrueux, des faces rondes, comme de continuels arguments contre sa maigreur de martyr, son visage jaune de mécontent.

Accueilli chez les Gras dignement représentés par Lisa Macquart  – devenue Quenu – à la tête d’une charcuterie de renom dans le quartier des Halles, il réalisera un premier pied-de-nez au gouvernement en se faisant employer comme inspecteur au pavillon de la marée et délaissant son costume d’ancien bagnard pour celui du respectable employé de la ville de Paris. Il est ainsi au cœur même de ce ventre, de cette mâchoire monstrueuse que sont les Halles, et se place aux premières loges de ce berceau des ragots et conflits de cette micro-société aux rouages complexes. Malgré cette parfaite réinsertion, il doit pourtant se faire discret et ne pas trop faire parler de lui, au risque d’éveiller l’attention des autorités et de faire se délier certaines langues… 

Il était gris de misère, de lassitude, de faim. Un feu ardent le brûlait de nouveau au creux de la poitrine ; il y portait les deux mains, par moments, comme pour boucher un trou par lequel il croyait sentir tout son être s’en aller.

Vite lassé par ce travail, il prend part aux intrigues politiques qui le passionnent. Car rappelons-le, Florent est un intellectuel, contrairement à son demi-frère Quenu et les projets révolutionnaires ne sont pas sans le faire rêver. Cette attirance discrète mais affirmée pour la politique va faire de Florent un danger potentiel pour l’équilibre construit par la belle Lisa. Incarnation parfaite de la femme respectable et droite, ses craintes et tentatives maladroites pour préserver son quotidien la feront pourtant parfois agir de manière immorale. 

Quels gredins que les honnêtes gens !

Zola dresse une fois de plus un portrait incisif des marasmes du milieu parisien. En grand maître du naturalisme, il ne laisse aucun détail au hasard et pose son regard d’expert sur un monde qui change. Il fait évoluer des personnages toujours prisonniers de leurs vices, rendant difficilement envisageable l’émancipation d’un milieu qui les a formatés et enfermés.  L’exemple le plus parlant est celui de Lisa, qui en dehors de tout l’attachement dont elle fait preuve pour préserver sa réputation, finira par être rattrapée par le sang des Rougon et leur appétit vorace du gain et du pouvoir. Combien de fois pourtant,  fustigera-t-elle l’attitude d’Aristide Saccard, cousin dont elle exècre les procédés peu conventionnels dans sa politique d’achat et de revente d’appartements parisiens ? Combien de fois vomira-t-elle ce comportement sans scrupule en réaffirmant sa position d’honnête femme ? Discours de façade pour une héroïne qui cèdera à la tentation de la malhonnêteté, ultime coup bas porté à son image et à son exemplarité.

C’est drôle, vous avez dû remarquer cela, vous… On trouve toujours quelqu’un pour vous payer à boire, on ne rencontre jamais personne qui vous paye à manger.

Commencé durant mon périple à Vienne, j’ai poursuivi ma découverte de l’œuvre de Zola avec un plaisir non dissimulé. Je reste complètement captivée par cet univers qu’il construit. J’aime cette façon dont les corps et les êtres se confondent avec la nourriture: les étals de fromages, tristes miroirs de ces femmes qui n’existent qu’à travers les ragots et les bruits de couloirs, qui se complaisent dans la médisance qui dégoulinent de mauvaises intentions, les viandes attristées et fades qui épousent la décadence de la si respectable Lisa… Les Halles sont ainsi le théâtre d’un curieux ballet où s’expriment les misères et les splendeurs d’un Paris qui masquent de façon bien malhabile les vies en équilibre précaire.

Une nouvelle fois, ( comme à chaque fois que je ferme un de ses livres désormais) , je me sens prise au piège et impatiente d’ouvrir le tome suivant pour replonger dans cet univers palpitant dans lequel nous invite Zola.

(Chronique de 2011 rapatriée Au milieu des livres)

Le Ventre de Paris – Émile Zola

Éditions Gallimard – Collection Folio


ISBN:9782070423583

6€30 / 480 pages

3e Tome des Rougon-Macquart


Les Classiques c’est fantastique.

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2 réflexions au sujet de « Le Ventre de Paris – Émile Zola »

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